Cette semaine, exercice de style surréaliste pour l’Agenda Ironique de Novembre. Dans cette scène il y a un début et une fin, deux protagonistes et la mer au bout. De nouveaux mots et des répliques empruntées également. Mais trêves d’explications – bonne lecture.
* * *
Viens faire une ballade !
— Tu sais bien que je ne peux pas marcher !
— Oui, mais j’ai loué un drôlatour !
— Dans ce cas ! Allons-y.
Il fallait toujours que je l’encourage à se lever du lit ou il passait maintenant la majeure partie de la journée, vautré entre ses polars et ses bouteilles de whisky. Quand il se leva, je vis bien qu’il avait déjà trop bu. Je lui avais menti à propos du drôlatour, mais comme il avait déjà pris un genre d’élan, il ne râla pas trop.
Nous avançâmes pas à pas, presque main dans la main mais paradoxalement avec une certaine insolitude ancrée dans nos cultures. Il ne fallait pas trop pousser les choses avec lui, et je n’allais pas m’y risquer. Nos cultures étaient trop différentes encore.
Je savais qu’il allait se diriger vers un débit de boisson, il était comme aimanté par tout ce qui était excuse à beuveries : les terrasses, les vitrines ouvertes qui rejetaient leurs relents d’alcool sur le trottoir. Mais je fus assez surprise quand il s’arrêta en face d’un salon de thé.
Nous nous assîmes devant une petite table, ronde, dessus vert pomme et pieds anthracite. Je m’aperçus en regardant ses mains qu’il était atteint de polimalie, chose commune sur ce territoire pour les … petites gens, seulement … cela était bien étrange. D’autant plus étrange qu’il était plus grand que la moyenne. Mais je ne dis rien, comme d’habitude. J’avais appris depuis un bon moment à ne pas faire de remarques concernant sa santé physique et morale. Je pris seulement note de ce nouveau détail.
Pour la première fois depuis que je le connaissais, il commanda autre chose qu’un whisky. Je le regardai soulever sa tasse de thé de manière désinvolte, observai sa posture sur la chaise, les jambes étendues devant lui, le bras pendant sur les coté. Je brisai notre silence :
— Bon ne le prends pas mal, hein ? C’est un compliment… enfin presque. Bref, entre nous je peux bien te le dire, ton rire me rappelle celui de la jumeleine.
Il me jeta un de ses regards perçants et si remplis d’intelligence. Je savais qu’il n’allait pas me donner le plaisir d’une réponse. Je sentais l’expression de mon idolâtrie prendre le goût de la basse flatterie.
– Le point d’ironie est-il existancié ou essentialisé ?
– Je dirais qu’il est plutôt existancialisé par un humanisme délirant.
Je lui avais répondu du tac au tac, comme d’habitude.
A ce moment-là une enchanquise nous déposa une tarte à la crème de bambou, celui comestible au nord ouest du pays des Polpilles. C’est moi qui l’avais commandée. Cela faisait trop longtemps que je ne m’offrais plus ce genre de gâteries exotiques, auxquelles je m’adonnais avant de le connaitre. Mais j’avais changé.
« Tu aimes ? tu peux en manger, c’est sans écriâmes. Tu sais qu’on a trouvé des traces d’écriâmes dans certains biscuits sans gluten ? » repris-je, consciente de l’ineptie de mes propos en ce qui le concernait mais incapable de surmonter le silence qui nous entourait.
– En tout cas, c’est mirififique, d’une poésitivité éléphantastique, boréalimentairement mergnifique !
Je ne savais pas s’il s’extasiait sur la crème de bambou ou ma remarque, alors je continuai de l’observer de derrière mes lunettes de soleil.
L’enchanquise qui nous avait servis revint vers nous avec l’addition et une feuille de papier. Je la connaissais un peu, elle s’appelait Rosalie. Nous étions étudiantes dans la même école d’art et venions de nous voir dans la classe du soir. Elle tenait à la main deux ébauches de dessins sur lesquels elle travaillait – deux portraits de femme :
— Tu prendrais la robe rouge ou la noire ?
— Les deux . Comme ça pas de chocile !
Notre conversation s’affirma : n’était-ce pas Charonne qui était venue ce soir, pour la première fois ? Oui, elle s’appliquait dans des répliques amupliquées. Heureusement, d’autres y mettaient plein de délicaristique.
Au bout d’un moment, je fis les présentations :
— Rosalie, Roland, Roland, Rosalie.
— Enchanté, fit Roland.
— Il fait frisquet, vous ne trouvez pas ? » lui dit-il en examinant sa minijupe de velours côtelé et son chemisier vichy.
– Oui, c’est tartuffolique : à force qu’il fait de plus en plus chaud là-haut, comme de juste, faut bien qu’ils envoient le froid en trop quelque part
— Certes. fit-il. Il souriait maintenant.
— Sinon, tu viens souvent boire le café à l’Agengouin toi ? » lui demanda Rosalie.
J’observais tranquillement leur conversation. Rosalie était visiblement tombée sous le charme, comme toutes les autres, complètement inconsciente du guêpier qu’elle frôlait.
Elle s’éloigna d’un pas de danseuse, après qu’ils eussent échangé quelques paroles et un clin d’œil.
Il se réinstallait dans son mutisme, mais je n’allais pas le laisser gagner cette petite partie :
« Ha tu m’énerves avec tes doigts qui charonnent sur la table et ton petit sourire satisuffisant. Non, tu vois, décidément je trouve tes clins d’œil beaucoup trop artificelles.
Il haussa les épaules :
— Si tu ne réussis pas à trouver la clef, demande aux deux brumageux postés la veille de te renseigner sur l’endroit à l’envers de la boîte à mystère. »
Encore une de ses réparties absurdes qui me clouaient le bec. Je le lui dis, mais une ambulance et un camion de pompier passèrent au moment où il ouvrait la bouche. Je ne l’entendis ni ne répondis.
– Oh, tu as entendu ? Si c’est pas dans le bec, c’est pas la peine de te tortillonner la tête comme un gymnasticot !
Je voyais bien qu’il essayait encore de noyer le poisson, d’éviter la vraie question. Mais il fallait que j’y fasse face pour de bon. J’ôtai mes lunettes de soleil et énonçai clairement :
— Roland, pourquoi tu bois ?
— Pour faciliter la pingouination du mois. »
C’est tout ce qu’il allait m’offrir en guise de réponse. Mais je savais que j’avais fait un pas dans la direction de la victoire. Et que lui-même le savait.
Il fit semblant de s’indigner :
— Mais qu’est-ce que tu as mis dans ton bain pour qu’il mousse comme ça ?
– De la mirififique, je l’ai achetée deux francs six sous au bazar du coin !
– ça fait des super délibules ce truc, j’adore !
Nos absurdes échanges reprenaient le dessus, mais nous n’étions plus dupes.
Il se leva avec, malgré tout, l’abomifreuse impression d’être dans le corps d’une fatalimace dépassée par les évènements…. Je le voyais sur son visage.
– Ne serait-ce pas la saint-Créaginaire, aujourd’hui ?
– Non, c’est la saint-Guillaume.
– C’est bien ce que je disais.
Je lui pris le bras, et nous reprîmes notre chemin a nouveau, pas à pas, presque main dans la main.
— Incroyable ! Sens-tu l’air chargé d’iode, le goût du sel qui pénètre la peau ? Regarde ! La mer s’approche, c’est marée haute. Regarde, l’étendue mergnifique. »
Je regardai. Oui, la mer s’étalait, devant nous.
* * *
Fin
L’air léger du large couplé à la gravité d’un douloureux dialogue.
Ecrit avec brio, en attendant la victoire.
Les pirouettes mettent magistralement en lumière tout le tragique qui se dessine en demi-teintes entre les lignes.
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Merci Jobougon – oui, c’est ce que ca donne. Interessant exercise!
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Ton texte est très soigné, il inclut les “mots-valises” avec une fluidité incroyable, bravo !
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Merci Marinade!
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Joli texte, composition tellement réelle que c’en est marrant et douloureux à la fois 😉
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Thank you patchcath.
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Un petit moment de joie interculturelle
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et intergenerational. 🙂
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des mots-valises imaginaires qui prennent une dimension réelle dans un dialogue grave et malgré tout très drôle ! bravo
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Merci Gibulène !
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