MA ZONE
J’ai invité Apollinaire à visiter ma Zone
Quelque part sur la côte entre New York et Montréal
On n’a pas parlé de Lou, ni d’Annie ni de Madeleine
On a simplement parlé de l’Europe et puis de l’Amérique
On a marché dans les rues et je lui ai montré
La rivière au milieu, les anciennes usines en briques rouges
Reconverties en appartements, salles de yoga et surtout en bureaux
Où foisonnent les psys qui entendent les nouvelles confessions
Je lui ai montré l’école, les vitrines glauques, les églises exclusives
Catholic, Evangelist, Baptist, Anglican,
Episcopal, Congregational,
Unitarian, Seventh day Adventist, and Quaker
Où Jésus apparait et disparait selon le bâtiment
Prestidigitateur sacré, nouvel Houdini
Sur un mur le portrait d’un ancien poète en trompe l’œil
Sur le bulletin du coffee-shop des petites annonces
Pour de nouvelles églises chez les uns et chez les autres
New-age ou que sais-je
Sans grandes pompes ni flamboyante Gloire du Christ
Je l’ai fait monter dans ma nouvelle voiture hybride
Et nous sommes allés au Mall, au bout de l’interminable autoroute
J’aime bien cette avenue artificielle du centre commercial
Bordée de boutiques remplies de choses neuves
Les lumières aveuglantes, les affiches aguicheuses et pimpantes
Les vendeuses lasses acceptant les retours derrières leurs comptoirs
Et qui rangent sur les cintres les robes d’un printemps qui n’existe que
Dans l’espoir des filles et de leurs mères en jeans serrés et en baskets
Nous avons repris l’autoroute et traversé la Piscataqua vers le Maine
En passant par le New Hampshire
En prenant un grand pont au-dessus des troupeaux de voiliers
Et juste au-dessus les troupeaux de nuages immobiles
J’aurais préféré être à Paris
Dans une chambre à la Baudelaire ou à l’Apollinaire
Muse aux yeux étincelants d’un poète insensé et intense
Qui croit que toutes même la plus laide fait souffrir son amant
Me voici à Nantes dans la chapelle du couvent qui me servait d’école
Me voici à Montréal sous le parasol d’une terrasse
Chassant d’une main les maringouins
Me voici à Londres fumant une cigarette
En route vers le musée de Keats guidée par un jeune homme
Qui s’amuse de moi et me montre les visages de nouveaux Christ
Me voici à New York avec un autre guide
Qui me montre dans les musées des vierges antiques
A l’ombre de colonnes couvertes de lambrusques
Et les portrais sanglants de Christs crucifiés
Me voici à Miami Beach dans un restaurant
Ou un serveur nommé Jesus en tablier blanc
Nous apporte des sandwiches et des Cocas colas
Me voici à San Francisco avec mon mari
Où l’angoisse de l’amour me serre le gosier
Comme si je ne devais jamais plus être aimée
Me voici à Paris, sous le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
La joie viendra toujours après la peine.
Apollinaire est rentré chez lui
Te voici désormais au boulot au clavier
Tu bois un thé brûlant avec tes vitamines
Entourée d’employés pauvres énergumènes
Ni malins ni idiots ni même schizophrènes
Nous pointons nos heures brèves attendant les vacances
Christs d’une autre forme et d’une autre croyance
Adieu Adieu vieil ami
Merci pour la visite.
* * *
Voici ma participation a l’Agenda Ironique de ce mois de Mai, qui se tient sur laplumefragile.
Je réponds ici au poème d’Apollinaire intitulé Zone. Bon d’accord, le ton n’est pas très léger, et on n’y compte pas fleurette, et heuh, j’ai un peu omis la sensualité. Mais j’ai les quatre mots : énergumène, schizophrène, maringouin, lambrusque.
Illustration : Henri Rousseau, La muse inspirant le poète, 1909 – Kunstmuseum Basel.
MY ZONE
I invited Apollinaire to visit my Zone
Somewhere on the coast between New York and Montreal
We did not talk about Lou, Annie or Madeleine
We just talked about Europe and then America
We walked in the streets and I showed him
The river in the middle, the old red brick factories
Converted into apartments, yoga rooms and especially offices
Where throngs of shrinks hear the new confessions
I showed him the school, the seedy shop-windows, the exclusive churches
Catholic, Evangelist, Baptist, Anglican,
Episcopal, Congregational,
Unitarian, Seventh day Adventist, and Quaker
Where Jesus appears and disappears according to the building
Holy illusionist, new Houdini
On a wall, the portrait of an ancient poet in trompe-l’oeil
On the coffee-shop’s bulletin board business cards
Advertising new-age churches in people’s homes
With no pomp or flamboyant Glory of Christ
I had him climb into my new hybrid car
And we drove to the Mall, at the end of the interminable highway
I like the artificial commercial avenue
Lined with shops filled with new things
Blinding lights, gaudy and uplifting posters
Weary salesgirls accepting returns behind their counters
And putting on hangers the dresses of a spring that exists only
In the hope of girls and their mothers in tight jeans and sneakers
We took the highway and crossed the Piscataqua to Maine
Through New Hampshire
Taking a long bridge over the herds of sailboats
And just above the herds of still clouds
I would have preferred to be in Paris
In a room like in a Baudelaire or Apollinaire’s poem
Muse with sparkling eyes of a insane and intense poet
Who thinks that even the ugliest woman makes her lover suffer
I am in Nantes in the chapel of the convent which served me as a school
I am in Montreal under a terrace umbrella
Chasing mosquitoes with my hand
I am in London smoking a cigarette
Walking to the Keats Museum guided by a young man
Who makes fun of me and shows me the faces of new Christ
I am in New York with another guide
Who shows me ancient Virgins and child
In the shade of columns covered with wild vines
And the bloodstained bodies of crucified Christs
I am in Miami Beach in a restaurant
Where a waiter called Jesus wearing a white apron
Brings us sandwiches and Coca cola
I am in San Francisco with my husband
Love’s anguish clutches my throat
As if I must never again be loved
I am in Paris, under the Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
La joie venait toujours après la peine
Apollinaire returned home
You are now at the keyboard at work
You drink burning-hot tea with your vitamin
We clock our brief hours waiting for holidays
Christs of another form and another belief
Farewell Farewell old friend
Thanks for the visit.
Dover, 2019
Il y a plus que les quatre mots,
il y a l’essentiel, le son, le rythme,
la danse et les images
l’illusion désabusée (ou qui fait mine de, ultime politesse)
il y a tout ce qui est écrit et même ce qui est tu
il y a… retournez-y lire la haut, ça vaudra mieux que ce commentaire
qui se perd entre tous ces lieux là !
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Bon, je vais essayer de rester modeste. 🙂
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Je suis d’accord, il y a tout ce qu’il faut. On peut même déceler la tendresse quand même, même si ces promeneurs de rêve ne vont pas jusqu’à mettre à l’épreuve leur sensualité.
Je trouve que c’est un très beau texte qui fait honneur à l’agenda de mai. Version anglaise en prime. Je pense que le jury saura l’apprécier ! Il a en tout cas le mérite de nous faire voyager.
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Bien vu ! Merci La Plume.
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Fascinating!! Thank you!
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Thank you !
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Waouh, j’adore ! C’est vrai qu’à l’intérieur de tes mots, on y entend beaucoup… Moi, ça me fait penser à du slam. Manque plus que ta voix pour parfaire le tout 😉
Belle performance en tout cas. Bravo !
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Inspiré! Les images affluent et l’on reconnaît bien le rythme d’Apollinaire.
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Bon jour,
Excellent ! Entre deux continents, une vie et des constats en souvenirs où la réalité s’impose …
Max-Louis
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Tout un voyage!
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Comme si le Transibérien et sa prose avaient été remplacés par une émule de Jack Kerouac : Big Sur, bien sûr ! 🙂
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En effet, voila pourquoi Je me sentais chez moi! Themes similaires a ceux du Dharma bum. Et Big Sur, bien sur!
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Lire évidemment “Transsibérien”… pardon !
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J’avais bien lu. 🙂
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J’aime bien ton invitation au voyage chez tes proches voisins et ton grand tour des capitales 😉
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Et merci a toi!
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Curieux, mardi j’étais au Rhode Island par affaires, je suis hier revenu à mes maringouins de la rive nord de Montréal et aujourd’hui je vous lis et je repasse presque dans vos traces, en songes. Ce fut un pur plaisir.
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Et bien, salut de ce site global et francophone ! 😊
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