DYNAMO HUMAINE (Eng. Eustache goes to the gym)

DYNAMO HUMAINE ou Eustache se rend à la salle de sport

Une grande affiche jaune fluorescent collée sur la porte du club de fitness annonçait: “De 17h à 19h, tous les vélos stationnaires, tapis de course et entraîneurs elliptiques seront connectés à la turbine générale d’alimention de la ville en tant que source d’énergie alternative.”
Eustache McLaughlin entra en soufflant dans la pénombre de la salle dépourvue d’aération et trahissant un grave manque d’oxygène.
À l’intérieur, le club de gym était le même que les années précédentes: murs gris foncé, sol gris foncé, appareils de musculation et machines gris foncé qui remplissaient la salle. Mais Eustache ne le savait pas car c’était sa première visite.
Il montra à la jeune fille derrière le comptoir une carte de mobilisation tachée de la graisse du hamburger qu’il tenait à la main. «J’ai reçu ceci par courrier», dit-il. “Je suis homme honnête et je ne trahirai pas mon pays, même si je préférerais faire autre chose, que ce soit clair.”
La carte avait été envoyée à tous les habitants de la ville dans le but de pallier la pénurie d’énergie qu’ils avaient connu les années passées.
La jeune fille aux cheveux roux et au visage pâle leva les yeux sur l’homme obèse vêtu d’un sweat-shirt vert d’une propreté incertaine et d’un pantalon de jogging gris qui avait connu des jours meilleurs.
“Vous choisissez”, dit-elle en tamponnant la carte et en lui montrant les machines d’un geste de la main.
Dix rangées de tapis de course, vélos stationnaires et appareils elliptiques divers étaient devancées de dix écrans de télévision, numérotés de 1 à 10. Quelques hommes et femmes étaient déjà occupés à faire de l’exercice. Eustache jeta un coup d’œil aux machines et tenta de calculer celle qui nécessiterait le moins d’énergie. Il estima que son choix serait peut-être mieux fondé sur le programme télévisé auquel il ferait face.
«Cela vous dérangerait-il si je mettais ma subsistance ici? » Demanda-t-il à un homme à côté de lui, désignant le sol. «J’ai apporté des provisions car je ne veux pas faire de malaise dû à l’inanition.»
Le sac laissait échapper une puissante odeur de friture et de graisse. L’homme montra ses écouteurs et continua d’activer le simulateur d’escalier. Eustache soupira et posa une de ses chaussures de sport sur le repose-pieds d’une machine elliptique, posa son burger entamé sur le porte-gobelet et se souvint de sa boisson. “Je serai de retour sous peu” s’adressa-t-il à l’homme visiblement plus attiré par ce qu’il regardait à l’écran que les manigances de son voisin.
Il remua ses énormes pieds et revint avec un immense gobelet de Coca-Cola, prit une gorgée gigantesque, rota, et reposa le récipient derrière la machine. Fixant l’écran, il fit monter et descendre ses pieds jusqu’à ce qu’un écran lui demande son poids. 100kg est ce dont il se souvenait de sa visite chez le médecin quelques mois auparavent. «Sommes-nous d’accord pour dire que vous êtes en surpoids, monsieur?» avait dit l’homme. «Pourrais-je vous intéresser à notre cours de nutrition hebdomadaire le jeudi soir?» «Je vous remercie bien de votre préoccupation, mais je préfère rester chez moi et faire une sieste à ce moment-là. Je ne veux pas risquer la mort ni attraper une maladie débilitante due à la malnutrition.» Les choses en étaient restées là.
Il inscrivit le chiffre. Le moment était venu de se mettre à l’ouvrage et d’activer la dynamo pour s’acquitter de son devoir de citoyen. Tout en enfoncant la pédale, il se saisit du hamburger pour alimenter ces premiers pas, puis leva les yeux vers l’écran de télévision.
Un journaliste commentait des images qui alternaient entre une vue de bétail sous différents angles et différents stades d’enpoussièrement et une autre montrant quelqu’un faisant frire un steak dans une poêle. Eustache ne portait pas d’écouteur, mais lu le commentaire défilant sous le présentateur: «… effets sur l’environnement liés à la production de viande: pollution due à l’utilisation de combustibles fossiles, méthane animal, déchets d’effluents, consommation d’eau et de terres». Eustache continua de mâcher son burger. A la droite de l’écran s’affichaient les prévisions météorologiques du jour : un soleil éclatant. Le programme fut interrompu par une publicité pour un restaurant local. On y voyait une main faire sauter des crevettes dans un ralenti artistique titillant, suivie d’une scène montrant une table entourée de brume dorée chargée d’assiettes et de plats, aboutissant sur une autre main versant un flot de beurre fondu sur divers homards et crevettes.
Les pieds d’Eustache avaient adopté alors une vitesse agréable assez proche du slo-mo de la scène des fruits de mer. Son hamburger terminé, il descendit pour atrapper la portion de frites dans le sac à ses pieds. L’étui de carton s’inséra conmodément dans le grand porte-gobelet en plastique.
Le programme suivant portait sur les vaccins et les théories de leurs effets sur les nourrissons. Ceci indiqua à Eustache que le moment était venu de changer de machine et d’en trouver une autre plus adaptée à sa disposition. Un vélo inclinable lui permis de caser le conteneur de frites à sa droite et le contenant de soda à sa gauche. Comme il pouvait le voir (sans entendre) sur l’écran de télévision n ° 8, un débat se déroulait entre les partisans d’un impact d’astéroïde sur Terre et des scientifiques qui voulaient prouver, au contraire, que les chances étaient minimes.
L’écran n ° 7 discutait de la médiocrité des soins de santé pour la population, en particulier la population vieillissante. Un commentaire en ruban soulevait la question de la pertinence de la formation du personnel infirmier et recommendait aux patients de s’assurer de leur réel investissement dans leur bien-être.
L’écran n ° 9 quant à lui documentait à grand renfort d’images criantes l’épuisement des ressources minérales et l’appel urgent à une action politique mondiale.
Eustache se dégagea de la selle et des pédales dans l’étroit espace entre les machines et se dirigea aussi vite que sa masse le lui permettait vers le comptoir:
«Madame, je souhaiterais me plaindre à la direction de la piètre qualité des divertissements dans ce club de sport. De plus, la décoration laisse à désirer. Si vous voulez mon avis, je mettrais un petit guéridon dans l’entrée, là. Mais il fait si sombre qu’on ne le remarquerait même pas, il faudrait l’appeler Guéridombre. Mais venons en au fait : ces émissions télévisées ne font rien pour stimuler mon désir patriotique de contribuer ma précieuse énergie au gouvernement. Pour ce faire, il me faudrait quelque chose de plus… » Il leva la tête du visage de la fille perplexe et pointa son oreille vers un son qui semblait provenir de derrière un mur. Des cris stridents et des exclamations féminines enthousiastes se faisaient entendre à quelques secondes d’intervalle. “Comme ça.”
La jeune fille fit de son mieux pour « écouter le client », comme le lui avait répété la direction. « Le client est roi ! le contredire ou l’interrompre est tabou ! » Elle n’avait pas envie de faire une taboulette dès sa première semaine d’essai.
«C’est la classe de spinning que vous entendez. Vous pouvez jeter un coup d’œil et voir si ça vous plait. »
Laissant son monceau de frites sur le comptoir, il leva ses pieds lourds en direction de la porte. Derrière, il fut déçu d’apercevoir une foule de vélos stationnaires montés par une douzaine de femmes qui pompaient si fort qu’il pensa qu’elles auraient pu fournir en électricité la moitié du pays. Leur professeur leur proférait périodiquement des cris d’encouragement de son propre vélo qui leur faisait face.
Il ferma rapidement la porte et retourna à son coca géant. Tout cela demandait un rafraîchissement. Il en oublia ses frites.
Son écran de télévision diffusait maintenant une émission sur une éventuelle invasion extraterrestre et la manière dont l’intelligence artificielle devait être formée et conçue pour faire face à une rencontre imminente. Le sujet retint son attention suffisamment longtemps pour qu’il compléte quelques cycles, jusqu’à ce qu’il remarque la jeune fille en train de passer l’aspirateur.
“Je pense avoir rempli mon devoir”, se dit-il en sortant un mouchoir qui avait dû être blanc. Il épongea son visage et son cou avec de grands gestes destinés à attirer l’attention de la fille aspirante.
«On dirait que vous fermez les lieux, mademoiselle. Ah, si nous faisions tous comme moi, notre pays serait en bien meilleure forme! Merci pour votre patriotisme !» Revenant vers le comptoir, il salua la fille et se retourna pour partir.
Une bonne chose de faite.

LA FIN!

Ma contribution à l’Agenda Ironique de Septembre chez Différence propre. Il s’agissait d’aborder, dans l’actualité, les révélations qui surviennent au moment même où les conséquences de ce qui est révélé sont inévitables ! Il y avait aussi deux mots imposés : guéridon et tabou, en leur adjoignant des antonymes sous forme de  mot valise, ou portmanteau en anglais. Un de ces néologismes devait rimer avec « triomphe », si possible. Malheureusement, c’était impossible. Enfin le texte devait être truculent. J’ai fait de mon mieux.

* * *

HUMAN POWER GENERATOR or Eustache goes to the gym

A large neon yellow poster pasted on the fitness club door announced: “As an alternative power source, stationary bikes, treadmills and elliptical trainers will be connected from 5 to 7pm, this week, to the general turbine which powers the town.”
Eustache McLaughlin puffed into the dark grey room which lacked aeration and betrayed a serious lack of oxygen.
Inside, the gym club looked as it had in the past years, dark grey walls, dark grey floor, dark grey exercise machines that filled the room. But Eustache didn’t know this since it was his first time inside.
He showed the young girl behind the counter a draft registration card stained with grease from the hamburger he was still holding in this hand. “I received this in the mail,” he said. “I am an honest man and I will not betray my country even if I would rather be doing something else, let it be clear.”
The card had been sent to all the town’s inhabitant in an effort to counteract the shortage of power they had been experiencing in the past year.
The girl with red hair and a large pale face looked up the obese man dressed in a green sweat-shirt of uncertain cleanliness and grey jogging pants that had seen better days.
“You choose” she said, stamping the card and showing him the machine.
Ten rows of treadmills and elliptical trainers were aligned in font of ten TV screens, numbered from 1 to 10. A few men and women were already busy working out. Eustache glanced at the machines and attempted to calculate which one would require the least amount of energy, and then considered that his choice might be better based on the TV program facing it.
“Would you mind greatly if I put my sustenance here? “he asked a man next to him, pointing to the floor. “I brought some provisions as I don’t want to have a fainting spell caused by inanition.”
The bag let out a powerful smell of fried food and greasy burgers. The man pointed out to his earbuds and kept on pumping his legs on the stair climber. Eustache huffed and put one of his sneakered feet on the footrest of an elliptical trainer, placed his half-eaten burger on top of the cup holder and remembered the drink. “I will be back shortly” he addressed the man who was visibly more engaged with what he was watching on the screen than his neighbor’s shenanigans.
He shuffled his huge feet back with a bucket full of Coca Cola, took a gargantuan slur , belched, and put down the large container behind the equipment. Staring at the counter, he moved his feet up and then down with effort until a screen asked him his weight. 215lb is what he remembered from his doctor’s visit a few months ago. “Do we agree you are overweight, sir?” The man had said. “Could I get you interested in our nutrition class on Thursday evenings every week?” “Thank you for your concern, but I would rather go home and take a nap at that time. I don’t want to risk my death or catch some debilitating disease due to malnourishment.” They had let things at that.
He entered the number. Now was the time to get serious and step on the energy machine to fulfil his citizen’s duty. While moving his foot down, he grasped the hamburger to fuel this first steps, and looked up the TV screen.
A newsman was commenting on pictures that alternated between cattle in various angles and stages of dustiness and someone frying steak in a pan. Eustache wasn’t wearing earbuds but read the commentary tape running below the presenter: “…environmental effects associated with meat production: pollution through fossil fuel usage, animal methane, effluent waste, water and land consumption.” While Eustache chewed his burger, his gaze shifted to the right of the screen which showed the weather-forecast for the day, a brilliant sun. The program was then interrupted by a commercial for a dinner special at a local restaurant. A detached hand was sautéing shrimp in an artistic and titillating slow-mo, followed by a hazy scene of a gold-tone dinner table loaded with plates and dishes, which culminated in another invisible hand splashing melted butter on a variety of lobster and shrimps.
Eustache’s feet reached at that point a pleasant speed that resembled the slo-mo of the seafood scene. His burger finished, he climbed down to reach for the portion of fries in the bag at his feet. The container somewhat fit into the large plastic cup holder.
Next program was about vaccines and the theories of their effects on infants. This signaled Eustache that the time had come to change equipment and to find another one more adapted to his disposition. A reclining bike allowed him to comfortably arrange the container of fries on his right and the bucket of soda on his left. On TV screen #8, as he could see without hearing, a debate was going on between the proponents of an asteroid impact on earth and scientists who could prove, on the opposite, that the chances were minimal.
Screen #7 discussed the weakness of primary health care for the population, especially the aging population – a running tape was raising the issue of the adequacy of training of nurses, and how patients should make sure they were invested in their wellbeing.
Screen #9 was documenting with many screaming pictures the mineral resources exhaustions and the urgent call for political action worldwide.
Eustache disengaged himself from the saddle and the pedals in the narrow space between the recumbent bikes and shot as fast as his bulk permitted directly to the counter:
“Madam, I would like to complain to the direction about the poor quality of entertainment in this sports club. These TV programs don’t do anything to spur my patriotic desire to contribute my precious energy to the government. To do so, I would need something more…” He lifted his head from the face of the confused girl and pointed his ear toward a sounds that seemed to come from behind a wall. A women’s shrill shrieks and exclamations came out at a few seconds intervals. “Like this.”
“That’s the spinning class you’re hearing. You can take a look and see if you like it.”
Leaving his half-eaten bucket of fries on the counter, he lifted his heavy feet in direction of the door. Peeping through, he was disappointed to witness a slew of stationary bikes mounted by a dozen of women pumping so hard he thought they might have provided electricity for half of the country. Their teacher was periodically proffering cries of encouragement from her own bike at the front.
He quickly closed the door and shuffled back to his giant coke. All of this demanded a refreshment.
The TV screen now aired a program about a possible extra-terrestrial invasion and how Artificial Intelligence was being trained and designed to face a potential imminent encounter. The topic held his interest long enough for him to go through a few cycles until he noticed the attendant vacuuming the floor.
“I think I fulfilled my duty,” he declared to himself and took out of his pocket a handkerchief that might have once been white. He sponged his face and neck with gestures destined to catch the attention of the vacuuming girl.
“It looks like you are closing the premises. I wish we all did like I did, we would be in a much better shape! Thank you for your patriotism.” Walking back to the counter, he saluted the girl behind him and turned around to leave. A good thing well done.

unknown person playing guitar

Photo by Kyle Loftus on Pexels.com

 

11 thoughts on “DYNAMO HUMAINE (Eng. Eustache goes to the gym)

  1. Superbe texte pour l’agenda ironique ! C’était ma première participation, et j’avoue que les consignes m’ont laissé songeuse au départ ! Je n’ai respecté que certains points, et essayé de pondre un truc pas trop à côté des pompes 😉 ! Ta nouvelle est grinçante à souhait, avec un fond qui donne à réfléchir, sur une société pas si lointaine ? Au plaisir de te lire sur les suivantes, in French and English (j’adore cette particularité de pouvoir lire les deux langues). Belle journée à toi, Sabrina.

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  2. Hello ! Merci pour ces mots rafraîchissants voire dépaysants ! Mon blog (Pas Plus Haut que le Bord sur Word Press) est passé en mode restreint, avec une autorisation préalable, ce blog bien apprécié est invité à toquer à la porte, on lui ouvrira ! Amicalement Nowo

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