ELLE S’ABAISSE POUR TRIOMPHER

Que faisiez-vous à l’époque où Marcia Baila était sur toutes les radios ? La pulsation pneumatique sur un faux air de panthère rose, le couinement acide de sirène qui monte, au début, vers une sorte de frénésie apocalyptique. La voix à l’accent inventé, aux couleurs psychédéliques.
Je sortais du foyer, le long de la rue jusqu’à l’université. C’était peut-être le printemps, il faisait plus chaud, les feuilles sur les arbres.
Mais avant, fermer la porte de ma chambre, prendre le couloir, descendre une volée d’escaliers, puis à gauche, la cabine téléphonique. Puis la grande porte. Puis le court passage en forme de cloître avec la salle à manger à droite et au fond la porte qui donnait sur la rue.
Puis la promenade.
Pourquoi tout ce soleil dans ma mémoire ? C’était peut-être la lumière au bout du tunnel. Quel tunnel ? celui de l’enfance, de l’adolescence. La porte qui donne sur la vie d’adulte. Première année universitaire.
Dans la classe de littérature anglaise, nous devons lire un livre. Un livre entier ! pas juste un paragraphe, ni quelques pages. L’effort semble considérable. Et ensuite, il faut rédiger un rapport.
La prof a fait un petit tas sur une table dans lequel nous piochons notre livre au hasard. J’en retire un mince volume à la couverture souple. She stoops to Conquer, par Oliver Golsdmith.
Le titre, quand j’y pense maintenant, alors qu’il n’y a vraiment aucun rapport, m’évoque cette chanson à la radio: Marcia Baila. Les whoop sauvages de Catherine Ringer
Je ne me rappelle que le titre du livre et une gravure aux couleurs palies en couverture. J’ai donc dû lire ce livre, mais même si j’ai lu chaque mot, je n’ai probablement pas compris grand-chose.
She stoops to conquer. Elle s’abaisse pour triompher.
Ces mots me semblaient barbares, ce ne sont pas des mots de tous les jours. En revanche, sur la quatrième de couverture, il y a le mot « crave » she craves something. Ce mot me parle : mourir d’envie pour quelque-chose, Avoir un fort désir pour. On n’a pas d’équivalent en français. Donc de ce livre, je retiens un mot.
Un livre = un mot.
Peut-être que ce n’était pas mon genre de m’abaisser pour conquérir. Je ne suis pas une conquérante. Et l’idée de manipuler est étrangère à ma franchise, mon honnêteté parfois naïve.
Dans cette pièce (j’ai vérifié récemment,) une jeune femme se fait passer pour une fermière pour séduire un homme timide qui ne l’aurait pas considérée parce qu’il l’aurait estimée au-dessus de lui, donc inatteignable.
Bien des années plus tard je comprends mieux, l’histoire m’intéresse un peu plus : les théories sur la façon dont les femmes doivent convaincre les hommes réticents en les manipulant. Pourquoi pas.
Mais le souvenir qui reste surtout est celui du rythme étrange et rebondissant de Marcia Baila, les roucoulades et reptations légèrement effrayantes de Catherine Ringer.

6 thoughts on “ELLE S’ABAISSE POUR TRIOMPHER

  1. Et si la manipulation est franche, honnête et naïve, est-ce s’abaisser que de désirer conquérir ?
    “To crave something”, je trouve que c’est touchant quelquefois.
    De toute façon, Catherine Ringer est un paquet de réconciliation sur pattes (si,si) alors nos avis (surtout que je n’ai pas lu ce livre) peuvent diverger par ailleurs.
    🙂

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    • En effet, tous les moyens sont bons. A mon avis, si les desseins sont purs.
      Quant à Catherine Ringer 😊… je connais peu de choses. C’est juste que la juxtaposition de littérature Anglaise et de musique pop française me semblait faire un contraste coloré.

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  2. Oui, j’aime beaucoup le mariage entre la littérature anglaise et Catherine Ringer !
    Et pas de blog, je ne sais qu’écrire des commentaires (et encore) et pratique très bien l’illectronisme avant mon heure.
    😊

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