Les cheveux de ma fille ce matin quand elle se réveille sur le sofa : blond cendré, épais, ébouriffés, touffus. Bien plus clairs que les miens, et bien plus épais. Et cette façon bien à elle de s’imposer, d’imposer dans l’espace la force de sa personnalité.
Elle s’est endormie sur le canapé hier soir, et bien plus tôt que d’habitude. Normalement, elle repousse les limites, se brosse les dents au dernier moment, s’assure que j’ai bien remarqué qu’elle a passé l’heure assignée par moi. Mais cette fois-là elle dormait et je me suis même un peu inquiétée. Je m’inquiète trop à son propos.
Elle a dormi enroulée dans la couverture grise avec une barre rouge que m’a offerte Allan à Noël. Cette couverture ressemble à une couverture de camping, rêche et épaisse mais elle l’a adoptée.
Ses premiers mots ce matins : «Romeo n’est pas venu me voir une seule fois.»
Elle a l’air étonnée et réprobatrice.
Elle appelle « Cat ! » avec un petit rire, parce que c’est moi qui l’appelle comme ça. Le chat est venu, mais quand je l’ai appelé, moi. C’est juste que les chats sont capricieux.
Elle est dans une phase hippie depuis deux jours, depuis qu’elle a trouvé une robe longue dans l’armoire de sa chambre. Ca fait deux jours qu’elle la met. Elle a dormi dedans.
Depuis deux jours elle joue des extraits du concert de Woodstock. Hier soir pendant que je préparais le diner elle m’a montré des photos d’une colonie hippie sur son IPod, des photos noir et blancs d’hommes barbus et de femmes à moitié habillés et l’air assez sale. « That’s where you should go ! » je lui ai dit. Elle opinait d’un air ravi. J’ai pensé à mon enfance dans les écoles catholiques bourgeoises françaises et au fait qu’elle est issue de là aussi, à moitié, mais je n’ai rien dit.
Dimanche après-midi, elle a invité un garçon à faire des devoirs avec elle. Elle a joué la playlist de Woodstock pendant deux heures. J’imagine que comme le garçon était chez elle, elle pensait pouvoir imposer ses goûts à elle. Lui m’a assuré qu’il aimait l’Opéra. Elle faisait tomber sa mèche blonde sur son menton par-dessous le cordon de daim et faisait semblant de se mettre à ses maths. Elle connaissait toutes les chansons. Quand le père du garçon est venu le chercher il y avait toujours Jimmy Hendrix sur les ondes et j’ai voulu m’excuser : « Elle est dans sa phase hippie en ce moment. »
Elle m’a contredit: « Pourquoi tu dis que c’est une phase. Ce n’est pas une phase. Dans une vie antérieure, j’étais flower girl à Woodstock. »
J’essaie de l’imaginer mais je ne la vois pas du tout dans ce film. Je vois son visage en forme de cœur, son corps compact de pré-adolescente. Je me demande vraiment où elle est allée chercher ça.
“I’m going for clean streamlined hippie today” elle m’a dit, au moment de partir ce matin. Elle portait un jean avec un pull gris un peu long avec son lien de daim tressé autour de la tête, ses cheveux blonds ondulés lui couvrant les oreilles et l’œil droit, des grosses sandales Birkenstock et des chaussettes grises.
Hier, il faisait près de trente degrés Farenheit et elle a voulu mettre sa robe longue pour aller à l’école, avec un pull par-dessus, son bandeau et ses sandales. Il y avait une couche épaisse de neige fondue sur les trottoirs et elle devait rentrer à pied. « You can wear boots ! » je lui ai dit.
« No ! »
Quand je suis rentrée le soir elle avait dû changer de chaussettes, juste pour me prouver que j’avais tort.