Let’s start the orientation : On the right my desk On the left my bed Welcome to the narrow quarters Of my American college room
Just outside This dorm bathroom Then another door Behind which a vending machine drops cans of Orange Minute Maid with a clang In my wallet, quarters, pennies, nickels and dimes
My bedroom door opens on new sounds Naked Coed Lacrosse!! A team of two girls, charming and playful ask Will you buy a t-shirt from us?
What is coed? What is naked? What is Lacrosse? Then Why coed? Why naked? Why Lacrosse? With the help of practical sign language I try to assimilate new, bizarre images But decline to buy a t-shirt
More sign language and I get a grasp Of what is Halloween on campus! That’s what “Fun-loving” is about
The promotional keychain gift from the Catering services tells me “You’re #1 with us” I am so flattered!
LACROSSE COED NU
Commençons l’orientation : A droite mon bureau A gauche mon lit
Bienvenue dans les quartiers étroits De ma chambre de dortoir américain
Juste au dehors La salle de bain commune Puis une autre porte Derrière laquelle un distributeur automatique Laisse tomber des canettes de Minute Maid à l’orange Dans un clang amorti Dans mon portemonnaie, le cliquetis des quarters, pennies, nickels et dimes
La porte de ma chambre s’ouvre sur de nouveaux sons Naked Coed Lacrosse !! Deux filles en équipe, charmantes et joyeuses demandent Achetez nous un t-shirt !
Qu’est-ce que naked ? Qu’est-ce que coed ? Qu’est-ce que Lacrosse ? Pourquoi Lacrosse ? Pourquoi mixte ? Pourquoi nu ? Avec l’aide d’une langue des gestes J’assimile de nouvelles images bizarres Mais je n’achète pas le t-shirt
Encore un peu de langue des signes et je comprends Ce qu’est Halloween sur le campus ! Et ce que signifie «fun-loving»
Le porte-clé promotionnel cadeau du service de restauration me dit « Vous êtes n ° 1 avec nous » Je suis extrêmement flattée !
* * * *
Les premiers jours sur le campus, tout semblait très étrange. Entre autre ce t-shirt qu’on voulait me vendre. Je n’ai toujours jamais vu de jeu de Lacrosse. Pour ceux qui débarquent sur mon site, je raconte mes aventures universitaires au siècle dernier, circa 1988.
J’avais reçu la lettre de réponse qui m’invitait à passer une année académique aux Etats Unis, dans l’Ohio. Malgré mes études, je ne connaissais rien de l’Ohio, qu’il m’avait fallu chercher sur la carte.
Des étudiants bien renseignés m’avait conseillé : « Il faut aller voir Mme S. Elle peut te donner des informations »
C’est le temps d’avant Google, avant les ordinateurs, avant les téléphones portables. Les curieux trouvaient les informations à la bibliothèque, dans des ouvrages spécialisés, en tous cas en faisant des recherches approfondies.
J’avais pris rendez-vous avec la prof et le jour dit, m’étais rendue dans son bureau. J’avais compris que tous les ans, telle la maman oiseau donne la becquée à ses oisillons, Mme S. invitait les étudiants qui avaient des réponses aux demandes d’inscriptions, à questionner son grand livre des collèges américains. Dans son bureau, dans lequel j’entrai pour la première fois, les murs étaient couverts d’étagères eux-mêmes pleins de livres poussiéreux. Il y faisait sombre, le soleil bloqué par des volets et des rideaux tirés. A mon arrivée, elle s’était levée pour déloger un épais grimoire et l’avait cérémonieusement posé sur son bureau. Puis elle avait enfilé ses lunettes d’un air pénétré, avait consulté la table des matières puis avait feuilleté, comme une cartomancienne son jeu de tarot. Elle était américaine, ce qui expliquait qu’une telle publication soit en sa possession. Elle devait l’avoir rapporté d’outre-Atlantique dans sa valise.
Kenyon College…
J’y suis…
Kenyon College : établissement privé d’arts libéraux situé à Gambier, Ohio. Fondé en 1824 par Philander Chase. Accrédité par la Commission de l’enseignement supérieur. 1 708 étudiants de premier cycle. Campus de 1000 acres situé dans un cadre rural. Utilise un calendrier académique semestriel.
C’est une université mixte. Il y a donc des filles et des garçons.
Cette information délivrée, elle avait levé sur moi des yeux scrutateurs. J’avais compris que c’était le détail que venaient chercher les autres étudiants, mieux renseignés que moi.
Et bien bonne chance ! J’espère que vous passerez une bonne année !
La consultation était terminée, Il n’y avait plus grand-chose à dire. Ce qu’il y avait d’autre à apprendre, je devrai l’apprendre sur le tas. J’avais dû disposer sans plus de cérémonies.
Tout le monde n’avait pas droit à une entrevue spéciale avec Mme S. C’était comme un adoubement. Moi-même, je n’aurais pas dû faire partie du groupe des élèves candidats à l’assistanat. Ces bourses en nombre limité étaient réservées aux étudiants se destinant au professorat. Je n’avais pas, et n’avais jamais eu l’intention d’enseigner. Je me voyais plutôt traductrice, ou bien je ne savais pas quoi – tout sauf le professorat. Cependant, à la fin de l’année, par un coup de chance, une prof m’avait proposé de remplir un dossier de candidature pour devenir assistante de français à l’étranger pendant un an. En Angleterre ou aux Etats Unis. Le programme était précédé d’un stage d’été d’un mois comme prof de Français pour les étudiants Américains. La chance frappait à ma porte. Certains avaient été jaloux. J’avais entendu des mots comme « opportuniste » ou « elle n’a pas les deux pieds dans le même sabot. » Mais l’occasion de visiter le monde se présentait et je n’allais pas la laisser s’échapper. Même si une nouvelle vocation de prof ne m’était pas soudainement venue, je ne voyais aucune objection à enseigner le français pendant un an, quitte à changer subitement d’avis en revenant.
Ce jour-là donc, même un peu déçue du peu d’information, je reprenais le chemin de ma chambre flottant sur un petit nuage parfumé d’œillets, de roses et de capucines, enluminé d’espoir et de rêves.
On avance, on avance dans le feuilleton de mes souvenirs. Bientôt, mais pas tout de suite, on va découvrir ce qui a fait court-circuiter ce destin prévisible dont je parlais récemment.
Si j’étais née Américaine On aurait pris mes mensurations Et j’aurais reçu la toge et le mortier Mais comme je suis Française Je suis allée chercher mon nom Sur le tableau des résultats
Si j’avais été Américaine J’aurais bâclé quelque essai à la dernière minute Puis j’aurais fièrement défilé Avant qu’il ne soit corrigé Saluant la foule étalée Sur les pelouses du campus Fière et endimanchée Parents, sœurs. frères, tantes et oncles
Mais j’ai pris le bus le jour-dit Sans tambours ni trompettes Sans Pomp and Circumstance Priant que mon nom figure Sur la liste des étudiants reçus Puis je suis rentrée chez moi, La joie au cœur
Si j’étais Américaine J’aurais reçu une accolade, une rose Mon beau diplôme sur un podium Et devant la caméra Moment dont j’aurais longtemps rêvé Comme les champions de natation Ou de course visualisent la Victoire Moi, je n’avais même pas pensé A visualiser mon nom sur la liste
Mais il était là! Et j’ai bien reçu Mon petit diplôme imprimé Sur rouleau d’imprimante aux rayures alternées Vertes et blanches avec les trous sur les côtés Par la poste peu de temps après.
Aurais-je fait encadrer Le vélin parchemin dans un cadre doré Au lieu de celui chiné aux puces
Et aurais-je continué sur la même lancée ? En visant droit vers les étoiles ?
La vie est-elle un peu moins dramatique Parce que je suis Française? Est-elle un peu moins clinquante Aurais-je gravis les échelons avec plus de courage?
A la place je me suis contentée de trouver mon nom Imprimé parmi les autres sur la liste des reçus A quoi tient notre destinée.
Dans ma série des souvenirs universitaires. Bonne journée à tous et toutes !
Midori, fragile comme tes lettres Par Avion – sur papier pelure d’oignon Que j’imagine toujours flottant Dans une rue bordée de gratte-ciels de Tokyo
La dernière fois que je t’ai vue Dans ta chambre au foyer Mérici Dans les tons de beige et de gris Un peu perdue loin du Fuji Yama Mais forte comme le bambou
te souviens-tu de cette brave sœur Qui criait aux autres filles Qu’elles étaient laides Tant au-dedans qu’à l’extérieur Quand elles téléphonaient à des garçons Au dehors, après les heures
Nous, nous étions belles.
Je te revois dans ton pull de laine Dans des tons de beige et de gris Assises sur ton lit dans ta chambre Nous bavardions jusqu’à très tard
Je te revois certains week-ends Solitaire, quand les autres rentraient chez elles, Et que tu m’apprenais à couper du chou en lamelles Je te revois, le jour où nous sommes parties en auto-stop Arrivant chez mes parents Toi enhardie cherchant les tasses de thé Dans le placard de ma mère
Maintenant je pense à toi quelque-part ombre légère flottant entre un gratte-ciel de Tokyo Et une bibliothèque où tu travaillais, je crois Légère comme une fleur de cerisier parachutiste.
Un autre de mes souvenirs d’etudiante.
Illustration : Japanese art, Hiroshige art prints, Cherry Blossoms (Edo period).
Pour l’Agenda Ironique de Mars, nous abordons le Féminisme radical. (Haussement de sourcil de mes lecteurs/lectrices.) Je propose donc ici une tranche de vie qui aborde mes réflexions philosophiques et presque métaphysiques sur le sujet, avec des chiasmes et des anaphores.
Pour les détails de la commande, voici l’adresse : https ://josephinelanesem.com/2021/02/28/nous-sommes-le-courage-lune-de-lautre/
La vraie journée des femmes
Vendredi 8h. Barbara se gara à l’arrêt de l’autocar qui transportait les voyageurs de l’aéroport. Elle avait eu peur d’être en retard. « La ponctualité est la politesse des rois », était un des dictons qui forgeaient sa personnalité. Le déplacement inhabituel à la gare après avoir déposé sa fille à l’école et avant le trajet pour le travail la déstabilisait.
Elle attendait une personne qu’elle n’avait jamais vue. La nièce d’une amie française, une des rares qu’elle avait gardées depuis qu’elle avait fait sa vie aux États-Unis. « Ma nièce s’est inscrite à un programme linguistique pour son cursus universitaire » avait écrit Valérie. Elle a besoin d’une famille d’accueil. J’ai pensé à toi. »
Barbara avait dit oui. La compagnie de la jeune fille lui ferait du bien, ainsi qu’à Tiffany, six ans, qui était fille unique depuis que son frère était parti faire ses études. Elle pourrait loger dans une pièce jamais finie faute de temps. Elle avait eu le projet d’en faire une chambre d’amis, centre de méditation, puis studio de danse, atelier de peinture pour Tiffany, salle de gym, atelier de couture, puis re-centre de méditation. Mais la pièce avait surtout été au cours des années un débarras
« And today is Women’s day… » annonça une voix à la radio. Barbara eut une pensée pour les suffragettes qui avaient précédé sa génération : elle leur devait le droit de vote, son compte en banque, sans parler de la propriété de sa maison. Elle pensa aussi à la quasi-nouveauté des femmes au volant et eu envie d’allumer un cigare.
Finalement, une jeune-fille apparu de derrière le bus, très jeune, cheveux noirs mi-longs, visage ovale rappelant Valérie. Elle repéra Barbara et pris sa valise.
A cause du nom, Barbara s’était attendue à une robe de fermière, des sabots remplis de paille. « Fernande ? » Mais la jeune-fille était très moderne, et portait les mêmes vêtements que les filles qu’elle voyait autour d’elle. Jean troué, débardeur à fines bretelles.
« Fernande, Je dois travailler, alors je vais vous déposer à la maison, vous pouvez faire comme chez vous et visiter un peu si vous voulez et nous parlerons ce soir ? » Barbara aurait vraiment dû prendre toute la journée de congé, elle le savait, et montrer à la fille qu’elle était la bienvenue. Elle donnait mauvaise impression mais ne pouvait pas faire autrement. De congés pas assez, et trop d’emploi du temps.
« Vous devez être fatiguée, avec le décalage horaire ?» La fille regardait à travers les vitres de la voiture. « Pas trop. » répondit Fernande « Je ne savais pas que ça serait comme ça. Il n’y a pas de gratte-ciel. » Barbara avait décrit sa situation géographique à son amie, mais peut-être qu’elle n’avait pas bien compris.
« Ah oui, ici c’est la cambrousse. Quand vous irez à Boston Vous en verrez, des gratte-ciels. » Elle arrêta la voiture et donna les clés à la fille. « Installez-vous. Je serai de retour ce soir. » La fille regardait la maison et Barbara ne savait pas si elle avait l’air déçue. Peut-être qu’elle s’était attendue à une maison plus luxueuse.
À 10 h, Barbara glissa sa carte dans le compteur de l’entreprise, s’assis à son bureau et alluma l’ordinateur. Première chose : préparer du café pour le patron. Le geste avait pris beaucoup plus d’importance dans son rôle qu’elle ne l’aurait pensé lors de son entretien d’embauche une décennie auparavant, l’employée qui partait lui avait dit « Je le fais par plaisir ! Il est si gentil, il a tant fait pour moi. Je lui apporte du café à 8h00 quand il arrive et un autre un peu plus tard. » Barbara avait hoché la tête avec enthousiasme à chaque détail de la description du poste. Après six mois de chômage elle était soulagée au-delà des mots. Le travail n’était pas idéal, ni le long trajet avec péage, mais elle avait un emploi.
Bientôt, Johnny, le garçon d’entrepôt faisait son entrée en souriant niaisement, balançant les hanches, parodiant un acte de strip-tease, s’approchant de son bureau, puis s’y accoudant comme à un bar. «Puis-je avoir les clés de la camionnette ? » Tous les vendredis depuis dix ans, il répétait le même acte. Tous les vendredis depuis dix ans, Barbara ne savait comment réagir à la farce qui la mettait mal à l’aise. D’un côté, elle appréciait son jeu comique. D’un autre côté, elle ne voulait pas encourager de familiarité indue, ni de fausses idées. Elle se tourna vers le tiroir en réprimant un sourire et lui donna la clé du fourgon.
Le directeur du marketing était en visite ce jour-là et passa l’après-midi à discuter de nouveaux projets. Au milieu de l’après-midi, ils l’appelèrent et, sans la regarder, l’envoyèrent acheter des piles, d’une taille spéciale. Barbara récupéra les clés de la voiture de société et se mit à la recherche de la pile. Après trois tentatives, elle trouva l’objet dans une pharmacie déserte à l’éclairage glauque puis retourna au bureau.
À 16 h 30, elle verrouilla ses armoires et pointa à l’horloge. Elle prit la route de la maison, puis s’arrêta pour prendre Tiffany chez sa gardienne. Elle fit un autre arrêt à l’épicerie pour acheter de la dinde hachée. Elle ferait une boite de Hamburger Helper. Avec des brocolis à la vapeur. Elle avait oublié de demander à Fernande si elle avait des allergies alimentaires.
« Bienvenue en Amérique ! TGIF ! » s’exclama Barbara en ouvrant la porte. La fille sorti de la salle de bain, les cheveux enveloppés dans une serviette, le corps également enroulé dans une serviette. “Voici Tiffany. Je vois que vous avez trouvé les serviettes ! Bravo. Nous dînerons dans 30mn.”
La jeune fille l’interrompit : : “Est-ce que je pourrais me coucher maintenant ? Il est presque minuit en France.”
Même si elle avait attendu avec impatience la visite, Barbara sentit que Fernande avait raison. Elle se mit à chercher des draps et emmena la fille à sa chambre. « Voici votre palais. Vous y serez tranquille. » Barbara poussa le vélo, le radiateur d’appoint, l’humidificateur, une boîte de livres qu’elle avait l’intention de donner, et deux caisses de vêtements d’hivers. Une fois dégagé, le lit apparu. La fille avait l’air déconcertée mais Barbara essaya de ne pas s’en apercevoir. « C’est confortable, tu verras. Je peux te dire tu ? Je dors ici de temps en temps.»
21h30 – Comme d’habitude, une fois couchée, Barbara prit son livre sur sa table de chevet ; comme d’habitude, épuisée, elle sentit ses yeux se fermer, et comme d’habitude, elle sentit le sommeil l’emmener, loin, très loin.
Samedi 7h00.
Le soleil poignarda Barbara dans l’œil. Samedi… Glorieux week-end ! Elle aurait enfin le temps de nettoyer la litière du chat, de faire la lessive. Elle se rendrait à la meilleure boulangerie pour leurs baguettes françaises et leur pain aux olives. Encore une fois elle n’allait pas pouvoir visiter la salle de sport. Les trois séances hebdomadaires qu’elle avait réussi à coincer dans son emploi du temps ne se matérialisaient pas. Et pourtant elle passait toute la journée sur une chaise, ce qui était une recette de désastre, comme chacun savait. Mais c’était ce que son employeur voulait, et pour ce quoi il la payait. Barbara repoussa la pensée comme un sacrifice mineur et temporaire.
Fernande était assise était à la table en train de tricoter quand Barbara sortit de sa chambre. « Je me suis levée très tôt. Je ne voulais pas te réveiller. »
« C’est le décalage horaire des premiers jours. Qu’est-ce que tu tricotes ? »
Elle plaça un muffin aux myrtilles devant la fille. Fernande avait bien dormi, elle tricotait un bikini avec le portrait de Che Guevara. Elle était prête à s’attaquer à ses cours. Barbara avait un peu espéré que la jeune fille aiderait à s’occuper de Tiffany de temps en temps, mais il s’avérait que les cours d’Anglais étaient quotidiens.
« Eh bien, je te déposerai à l’arrêt de bus le matin et je viendrai te chercher le soir. » Comme elle entamait son muffin, elle commença une liste sur un carnet : « Freedom Trail, Museum of Fine Arts, Faneuil Hall, Duck tours »
« Qu’est-ce que c’est les tours canard? »
« C’est une flottille de véhicules de guerre amphibiens maintenant utilisés pour les visites touristiques. On arrive par la route et on descend dans la rivière Charles. Ça éclabousse un peu. Tu devrais aussi aller voir un ballet au Boston Opera Ballet ou aux Boston Pops. … Tiffany et moi ne passons pas beaucoup de temps à Boston. Tu devrais en profiter. »
La fille avait pris la liste. « Merci. »
En descendant la poubelle sous l’escalier, Barbara avait calculé qu’elles auraient le temps de déjeuner avant le cours de danse de Tiffany.
14h00 – Pendant la leçon de piano de Tiffany, Barbara et Fernande avaient longé la rue bordée de boutiques, typique de la Nouvelle-Angleterre. Elles s’étaient arrêtées à la librairie locale. Au travail, Barbara rêvait toujours de longues heures de loisirs, de lecture à sa guise. Elle espérait toujours, jamais elle ne pouvait.
Mais l’heure était passée. Il était temps de rentrer.
17h30 – Penchée au-dessus de la table, Barbara déchiffra l’écriture en cursive sur le col du t-shirt qu’elle pliait. « Riez des règles ! Laissez-vous rêver ! » C’était son propre t-shirt et elle n’avait jamais remarqué ces mots sur le col. Elle avait empilé le linge juste sorti du séchoir sur la table de la cuisine pour faciliter le pliage. Un autre t-shirt qu’elle ne connaissait pas disait : « Nous sommes le courage l’une de l’autre ». « Il est chouette, ton t-shirt ! » lança-t-elle par-dessus son épaule Fernande qui regardait l’écran de télé à côté de Tiffany sur le canapé. La fille ne l’entendit pas.
Pour le dîner, elles mangeraient des restes, si elles avaient faim. Barbara pensa aussi qu’elle devrait trouver un compagnon. Quelqu’un de gentil qui l’aiderait. Elle s’imagina comme la statuette qu’elle avait vu dans une boutique Hallmark, une fille à tête de chat buvant un martini, mi-allongée sur un canapé.
« Nous ne sommes pas des fleurs, nous sommes un incendie ! » surgit alors dans sa tête comme un autre slogan potentiel de t-shirt. C’est vrai, elle leur montrerait à tous de quoi elles étaient faites, elle, Tiffany et Fernande, levant le poing. Elles exploseraient comme un baton de dynamite dans Tom et Jerry, et mettraient le feu partout !
Surprise par sa propre conflagration, ayant un peu perdu l’équilibre, Barbara se remis au pliage et emmena le panier à l’étage dans la chambre de Tiffany.
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Rien de très radical ici. Je vous ai bien eu ! Je n’ai pas de théories, sauf que je suis moins pour la division des hommes et des femmes, que la coopération des gens en général.
Note : Fernande. Barbara et Tiffany sont des personnages de fiction, tout comme cette histoire.
Que faisiez-vous à l’époque où Marcia Baila était sur toutes les radios ? La pulsation pneumatique sur un faux air de panthère rose, le couinement acide de sirène qui monte, au début, vers une sorte de frénésie apocalyptique. La voix à l’accent inventé, aux couleurs psychédéliques. Je sortais du foyer, le long de la rue jusqu’à l’université. C’était peut-être le printemps, il faisait plus chaud, les feuilles sur les arbres. Mais avant, fermer la porte de ma chambre, prendre le couloir, descendre une volée d’escaliers, puis à gauche, la cabine téléphonique. Puis la grande porte. Puis le court passage en forme de cloître avec la salle à manger à droite et au fond la porte qui donnait sur la rue. Puis la promenade. Pourquoi tout ce soleil dans ma mémoire ? C’était peut-être la lumière au bout du tunnel. Quel tunnel ? celui de l’enfance, de l’adolescence. La porte qui donne sur la vie d’adulte. Première année universitaire. Dans la classe de littérature anglaise, nous devons lire un livre. Un livre entier ! pas juste un paragraphe, ni quelques pages. L’effort semble considérable. Et ensuite, il faut rédiger un rapport. La prof a fait un petit tas sur une table dans lequel nous piochons notre livre au hasard. J’en retire un mince volume à la couverture souple. She stoops to Conquer, par Oliver Golsdmith. Le titre, quand j’y pense maintenant, alors qu’il n’y a vraiment aucun rapport, m’évoque cette chanson à la radio: Marcia Baila. Les whoop sauvages de Catherine Ringer Je ne me rappelle que le titre du livre et une gravure aux couleurs palies en couverture. J’ai donc dû lire ce livre, mais même si j’ai lu chaque mot, je n’ai probablement pas compris grand-chose. She stoops to conquer. Elle s’abaisse pour triompher. Ces mots me semblaient barbares, ce ne sont pas des mots de tous les jours. En revanche, sur la quatrième de couverture, il y a le mot « crave » she craves something. Ce mot me parle : mourir d’envie pour quelque-chose, Avoir un fort désir pour. On n’a pas d’équivalent en français. Donc de ce livre, je retiens un mot. Un livre = un mot. Peut-être que ce n’était pas mon genre de m’abaisser pour conquérir. Je ne suis pas une conquérante. Et l’idée de manipuler est étrangère à ma franchise, mon honnêteté parfois naïve. Dans cette pièce (j’ai vérifié récemment,) une jeune femme se fait passer pour une fermière pour séduire un homme timide qui ne l’aurait pas considérée parce qu’il l’aurait estimée au-dessus de lui, donc inatteignable. Bien des années plus tard je comprends mieux, l’histoire m’intéresse un peu plus : les théories sur la façon dont les femmes doivent convaincre les hommes réticents en les manipulant. Pourquoi pas. Mais le souvenir qui reste surtout est celui du rythme étrange et rebondissant de Marcia Baila, les roucoulades et reptations légèrement effrayantes de Catherine Ringer.
I am typing WHERE DID WE LEAVE OFF? In caps on purpose For he BOOMS, entering the classroom – The point is to make us understand Young ignorant French students That you don’t just translate Où étions nous? with Where were we? To resume last class task But “WHERE DID WE LEAVE OFF!” And we learn the verb To BOOM in the process Because he BOOMS these words Like a loose wild cannon Our professor Who we know has served in the army.
So we make a point of remembering Our whole entire life to say to ourselves WHERE DID WE LEAVE OFF! Every time we open a book where we left it last Booming each word clearly, loudly and loyally.
Dans ma série de souvenirs universitaires, ce professeur et la leçon qu’il a si bien fait entrer dans ma tète (et peut-être pas seulement la mienne) qu’elle est inoubliable. Impossible de traduire ce texte en français – parce que je ne trouve pas d’équivalent !
Le titre est trompeur, je vous préviens J’ai tout oublié du Watergate scandal Ce qui me reste ce sont ces heures un samedi matin lumineux dans le grand hall aux baies vitrées transformé en salle d’examen où, en rangées de tables et chaises alignées nous sommes rassemblés pour ramer, forçats silencieux sur un sujet au programme Je tombe sur Watergate
Je remplis soigneusement les pages Ca coule à flot, je dois avoir les choses bien en tête moi qui n’ai jamais été bonne en histoire
J’ai, depuis, tout oublié de Watergate Mais ce dont je me souviens C’est d’avoir levé le stylo et les yeux Pour reprendre souffle et penser et d’avoir rencontré le regard de la prof brièvement, puis d’avoir remis le stylo-plume à l’encre bleue sur la page lisse
Etait-elle impressionnée, inquiète, me jugeait-elle ? me surveillait-elle ? me soupçonnait-elle de triche ? m’encourageait-elle par télépathie ? m’accompagnait-elle dans la souffrance ?
Je ne le saurai jamais
Ce que j’ai retenu de Watergate c’est cet échange si rapide cette attention à mon être.
Je continue ma série de souvenirs universitaires. Après la France on passera aux Etats Unis.
J’attendais en haut d’un couloir à l’étage, Entre deux cours Plantée là comme un bégonia seule près d’une porte, laquelle ? Elles se ressemblaient toutes
Quand j’entendis des pas… J’avais le nez dans un fascicule, l’objet du cours d’un prof d’Anglais : Mémoriser le vocabulaire par les Idéophones Par exemple : les mots en sn- (sniffle, snore, snoop, snout) s’apparentent à l’idée de nez. Snazzy idea
Donc j’étudiais cette belle œuvre Dans mon temps perdu (j’étais de nature studieuse et curieuse dans le domaine verbal) et puis peut-être rien d’autre à lire Quand justement, l’auteur, au tournant du couloir est passé devant moi Comme un train fantôme arrivant de nulle part Et voyant ma lecture, il prononça ces mots:
« Ah vous lisez mon livre ? Vous irez loin ! »
Ayant vu mon destin dans sa boule de cristal Je me vis grand trois mats dans le grand vent du large voguant vers l’aventure Hisse et Ho, Santiano Je m’en souviens encore comme si c’était demain
Suis-je allée loin ? Trop loin ou pas assez ? Où vont les rêves quand ils s’envolent ? Ils atterrissent un jour, dit-on dans les bouquets de fleurs de continents inconnus ou bien exactement là où je suis maintenant.
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Je me rends bien compte que ce prof plaisantait, sans-doute plaisamment flatté de voir une de ses élèves étudier pour sa classe. Mais ce que disent les profs n’est pas en vain.
Au pire des cas, me disais-je, de ma chaise dans l’auditorium Prenant des notes en classe de littérature américaine Au pire des cas je cultiverais des pommes de terre comme Henry David Thoreau À côté d’une petite cabane avec un feu de bois.
Dans la classe qui suivait: Anglais des affaires On nous préparait à un avenir global Import-export international en termes non-équivoques: f.a.s, f.o.b., c.i.f Futur codé dans un langage de gagnants et perdants J’y voyais des quais sales aux mouettes hurlantes Le tout téléguidé d’un siège-social de verre et d’acier
On nous enjoignait de nous vendre En brandissant nos CV au-dessus de la foule Comme les mouettes dans les publicités Pour les cadres aux Jeux Olympiques du succès!
Combien est-ce que je vaux, déjà?
Au pire des cas il me resterait l’option de faire comme Thoreau et vivre simplement En mâchant des légumes-racines En suçant la moelle de la vie, des vers de terre En chassant les marmottes si le besoin se faisait sentir et puis, à l’heure de ma mort, découvrir que, oui, j’avais vécu.
“Thoreau fait appel à l’idéalisme des adolescents” Disait mon professeur, condescendant. Pragmatiquement, cela se résumait à combien de pommes de terre Vous aviez besoin pour vivre.
Je me remémore ici ici les difficultés de la vie d’étudiante, l’angoisse du futur, mêlé à l’idéalisme, le désir d’une vie authentique, les affinités personnelles (pour moi, la littérature). Un moment de la vie où tout est possible, mais où on doit jouer les règles du jeu et où la chance joue une grande part.
GROWING POTATOES WITH HENRY DAVID THOREAU
Worst case scenario I told myself from my seat in the lecture hall While taking notes in American literature class I’ll grow potatoes like Henry David Thoreau Next to a small cabin with a wood fire
In the next class: Commercial English we are groomed for a future of international imports/export in no uncertain terms, f.a.s, f.o.b., c.i.f
A future coded in winner-loser language dirty docks with shrieking seagulls teleguided from headquarters in steel and glass offices Where I am meant to compete and sell myself brandishing my resume above them all like the seagulls in the commercials for executives in the Olympics of success!
How much am I worth, already?
If all else fails, I thought, I’ll grow a vegetable garden and earn my living from the soil chew on roots and suck the marrow of life eat worms, chase woodchucks, if necessary and besides, when I come to die, discover that I have indeed lived.
Thoreau appeals to the idealism of adolescents my professor said. Pragmatically, It boils down to how many potatoes you need to live on.
Illustration: On Walden Pond by Nicholas Santoleri