
A quoi pense Gabriel pendant son trajet entre le Val-de-Grâce où il travaille, et son foyer, rue Pascal ? Que voit-il, mon grand-père que je n’ai jamais connu ?
Ce n’est pas une longue distance, juste une dizaine de minutes.
Il a le choix de l’itinéraire, selon l’humeur du jour. On peut passer par la rue St. Hippolyte, laide et venteuse, ou la rue Claude Bernard.
Je parie qu’il préférait cette dernière, continuant sur la rue de l’Arbalète, la rue des Lyonnais, le Blvd de Port Royal, puis la fameuse St. Hippolyte à nouveau.
S’il veut l’éviter à tout prix, la rue St. Hippolyte, il peut toujours continuer la rue Claude Bernard et tourner au coin de la rue Pascal. Deux tronçons, angles droits. Moins de rebondissements et de détails sûrement. Moins de dentelles d’architecture, d’ombre et de lumière, de coins et de recoins avec leurs odeurs de pisse. Plus de devantures de magasins. Autant de crottes de chien.
A quoi pense-t-il pendant son trajet quotidien ? au ressac des flots au large des mers d’Islande ? A la rude traversée de l’Allemagne ?
On est 1945, la guerre est finie. Pense-t-il au jour au jour où il est arrivé rue Pascal ?
Il s’est passé des choses depuis.
Il y avait déjà deux petits gars, mais le plus âgé est parti vivre chez sa grand-mère pour faire un peu de place.
Pense-t-il à sa femme ? Pense-t-il à leur bambin de deux ans qu’il va retrouver chez lui ?
Pas facile d’être père, le sien, il ne l’a pas connu. Les enfants, d’ailleurs, c’est surtout l’affaire des mères. Lui, Gabriel, avec son passé d’orphelin, de Rouletabille, il ne s’est pas gêné pour continuer le combat, celui de la résistance locale. Il serait même reparti faire des siennes dans sa Bretagne natale, selon certains. Histoire de ne pas se faire attraper à nouveau.
C’est peut-être à ça qu’il pense.
Quand on a été bourlingueur, fugitif, qu’on n’a connu qu’une vie de danger et de survie, on a du mal à se faire à la paix des logis, à la veillée des chaumières. Il y a trop de pensées, de flashbacks. Trop d’énergie inutilisée, les sens constamment en alerte, aiguisés à prévenir l’attaque, à vaincre l’ennemi, ou même juste à faire face aux éléments, la faim, la soif.
La soif, parlons-en.
A la fin de la guerre, il a mis ses talents à bon usage. Il a trouvé du travail à l’hôpital du Val-de-Grâce, comme plombier, chauffagiste.
Les années ont passé, en temps de paix. Après son fils, nait une petite fille. Nous sommes maintenant en 1947.
Ce qu’il ne sait pas, Gabriel, c’est que les dix-sept années à venir sont les seules qui lui restent. Il va falloir les vivre en paix. Il va falloir se faire à l’idée que la France va se remettre, assez vite même.
Il va lui falloir composer avec ses souvenirs, ses traumatismes, ses blessures. Comme beaucoup d’hommes. Ça et vivre une vie tranquille à laquelle il n’a pas été préparé.
Dans les bus, il y a des places pour les invalides. Il y a plein de blague sur les manchots, les culs de jatte. Ça veut encore dire quelque chose.
Ce dont on parle moins, ce sont des blessures à l’âme. Mais personne n’est à l’abri de celles-ci, même en temps de paix.
Alors il y a un problème, celui de la boisson et de ses méfaits qui commencent à prendre le dessus.
Photo : Robert Doisneau – Boules de neige au Pont des Arts – PARIS – 1945
Juste au moment quand j’espérais que l’histoire tournait pour le meilleur, le mot « boisson » fait son apparence. J’attends quand même la suite avec impatience !
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Désolée de te décevoir, ce n’est pas une fin comme à Hollywood. Moi aussi j’aurais bien aimé. Mais nous les Français, on aime bien le tragique aussi. Et puis, ici, point de fiction, mais la réalité vraie, l’histoire ! Cela dit, une vie, longue ou courte, c’est une vie, et c’est comme ça. Je suis bien contente que tu l’aie suivie.
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J’irai refaire le chemin.
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Ca me touche profondément, Aldor. Je n’ai pas encore pu faire ce trajet puisque je viens de découvrir toute cette histoire et que je vis outre-Atlantique (comme j’ai du bien le faire comprendre 🙂
Vraiment, je suis très émue.
Aussi, j’espère que mon itinéraire est correct ! Raconte-moi si tu veux.
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Eh bien, le plus simple pour aller à l’hôpital
du Val de Grâce quand on habite au 35 rue Pascal, c’est de prendre un des quatre escaliers qui, au niveau du 33, permettent de monter Boulevard de Port Royal et de rejoindre l’hôpital par ce boulevard.
La rue Pascal est une des deux rues occupant l’ancien cours de la Bièvre. Le bd de Port Royal la travzrse en passant au-dessus d’elle.
C’est pourquoi il faut prendre des escaliers.
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Google maps n’a pas vu ça. C’est bien que l’humain soit toujours au dessus des machines!
Mon imagination n’est pas infaillible non plus.
Merci pour cette mise au point.
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Modiano, sors de ce corps (de texte) !!😁
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Il va falloir que je lise ce Modiano dont tout le monde parle!
Pas facile à trouver dans mon coin.
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