Tutoriel / Guide pratique
Cela peut arriver à tout un chacun : on achète un nouveau matelas et il faut bien se débarrasser de l’autre. Ma fille étant partie faire un petit voyage, l’idée m’est venue de lui faire la surprise d’enlever le matelas qui encombrait son intérieur. Au cas où ça vous arriverait, cher lecteur/trice, je partage le mode d’emploi.
- D’abord, tirer le matelas, comme on le ferait un cadavre, hors de l’appartement, le faire glisser le long des marches en laissant partout derrière de petits morceaux de matière non-identifiée pour les voisins.
Puis tirer encore tant bien que mal l’énorme matelas mou qui fait trois fois votre taille et votre poids hors de la maison et le long le trottoir. Vos ongles agrippent le rebord de la couture, prêts à s’arracher. Après plusieurs arrêts pour reprendre son souffle, comme sur le chemin de croix, s’arrêter finalement devant la maison, en se disant que la mairie sera ouverte lundi (on est samedi), Le temps passera vite et personne ne saura rien, ni vu ni connu.
Savoir qu’il suffira d’obtenir du greffier un autocollant orange ($5) pour la collecte des articles volumineux – comme vous l’avez fait l’année précédente avec votre propre matelas.
Penser à la joie du moment où vous enlèverez l’enveloppe de nylon jauni et couvert de taches douteuses qui enveloppe le matelas. Se demander s’il provient de générations de magasins d’occasion. - Retirer l’enveloppe de nylon. Admirer la blancheur du matelas défoncé en dessous. Il est maintenant bien plus présentable. Fourrer le « protège-matelas » dans votre poubelle.
- Laisser l’énorme matelas avachi contre l’arbre comme si de rien n’était, puis rentrer à la maison.
- Vérifier la météo. Constater qu’il y a une alerte au déluge pour le lendemain. Se demander s’il est sage de laisser le matelas dehors. Puis se demander comment le rentrer dans le cabanon, autant de mètres supplémentaires à trainer le matelas.
Tirer et pousser le matelas dans le cabanon en 1) vous félicitant d’avoir un cabanon et 2) d’avoir eu la présence d’esprit de regarder la météo. - En profiter pour jeter un coup d’œil en passant sur l’ouverture de la mairie Lundi matin pour vous procurer le fameux autocollant. Se laisser divertir par l’onglet sur le recyclage et l’enlèvement des déchets.
Ne pas en croire ses yeux : un formulaire annonce que l’enlèvement des matelas est aboli depuis le 22 Novembre de l’année précédente. Constater qu’il n’y a pas d’alternative, pas de conseils autres que : Apportez votre matelas vous-même au centre de recyclage et payez $75.
Ou bien débrouillez-vous comme vous voudrez. - S’exclamer : « $75 pour se débarrasser d’un matelas ? »
Se dire que ce matelas taille large ne tiendra jamais ni dans sa voiture, ni sur le toit.
Se demander comment se défaire du corps en se posant les mêmes questions que se sont posés des tonnes de gens : le jeter dans la rivière ? le couper en petit morceaux ? - Se dire qu’il y a certainement un tutoriel sur Youtube qui explique quoi faire.
Effectuer des recherches. Trouver de plus en plus d’articles confirmant que l’enlèvement des matelas est en effet aboli dans l’état du Massachusetts, et seulement dans le Massachusetts. Se sentir montré du doigt par Dieu. - Essayer de penser aux gens qui pourraient vous prêter leur camionnette. Vous n’en connaissez pas.
- Penser à l’ironie de la chose : le cadavre que vous trainiez, il faudra effectivement le couper en petits morceaux. Comme Dutroux et Pélagie Rosier dans Les demoiselles de Rochefort.
- Se rendre à la quincaillerie et acheter une pince coupante, un cutter géant et des sacs poubelle.
Visionner d’autres vidéos YouTube comme celui qui montre deux femmes dans un parking avec un cutter et des sacs poubelle, qui ont l’air de ne pas savoir ce qu’elles font. - Fermer YouTube.
- Quelques jours de réflexion plus tard, et lors d’une journée ensoleillée, s’approcher à nouveau de la dépouille. Selon les directions glanées ici et là, entamer le pourtour avec le cutter. Se demander si la lame est émoussée, ou si la peau du macchabée est particulièrement épaisse.
Enlever son manteau dans le cabanon non chauffé.
Se dire que ça va prendre du temps et brancher le vieux haut-parleur wifi. Penser subitement à Michel Sardou (sans raison aucune) et trouver une chaine de musique française pop des années 80 pour se donner du cœur à l’ouvrage.
Reprendre la coupe chirurgicale d’autopsie du matelas en compagnie de Michel Sardou (Femme des années 80).
Trouver très vite que l’anatomie de ce matelas n’est pas du tout la même que celle montrée sur YouTube. Il ne s’agit pas d’un cadavre normal mais d’un mutant. Garder espoir et se dire que l’on a toujours été pleine de ressources. - Enlever avec succès l’épiderme supérieur de la chose et le fourrer dans un premier sac poubelle.
- S’armer du coupe-fil et couper les grosses attaches de métal tout en écoutant Catherine Ringer (Andy). Se féliciter d’avoir les bons outils.
- Un fois les attaches détachées, entamer la seconde couche épidermique et, en utilisant toute sa force et son poids, décoller la couche de molleton. La fourrer dans le sac poubelle.
- Observer que l’organisme du défunt, i.e. son squelette, se compose de 23 rangées de ressorts individuellement emballés dans des tubes de papier-tissu blanc et solide, lesquels sont maintenus ensemble par la couche de fibres molletonnée inférieure et que par conséquent, il faudra couper le long des 23 rangées pour obtenir des bandes qu’il suffira d’enrouler et de déposer dans les sacs poubelle.
- Se saisir de la paire de ciseaux de taille industrielle fraichement acquise, se dire que le processus est maintenant enclenché et que si la musique est bonne, l’opération ne devrait prendre que quelques heures.
Se mettre à la tâche hardiment. - Se débrouiller pour isoler et découper autour de la partie centrale du matelas défoncé, ou tous les ressorts jadis hélicoïdaux sont maintenant en purée et impossible à trier. Fourrer l’ablation dans un sac poubelle.
- Après quelques heures de travail acharné, considérer les 10 sacs poubelle qu’il faudra écouler petit à petit dans les collections de déchet hebdomadaire. Eteindre la bande son.
- Admirer le travail.