“Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, – Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, – – Et d’autres, corrompus, riches et triomphants, – Ayant l’expansion des choses infinies, – Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens … ” Les Fleurs du Mal (1857), Correspondances de Charles Baudelaire
Si j’écris en Anglais, je perds mon audience potentielle Francophone. Si j’écris en Français, je perds mon audience Anglophone, probablement bien plus large.
Parfois je me demande si j’écris en anglais sur ce blog pour me cacher. Par exemple de mes parents. C’est très inhibant, la pensée d’être lue par ses parents. Et s’ils jugeaient ? J’ai peut-être eu des parents trop envahissants.
Kurt Vonnegut disait qu’il fallait écrire pour une seule personne, pas tout le monde. Aujourd’hui je décide d’écrire en Français, de choses françaises.
Bizarrement, si j’en crois les statistiques proposées par ce site, j’ai un(e) fidèle lecteur/lectrice au Brésil. Hier en Arabie Saoudite. Va-t-on savoir.
Je vais donc parler parfums.
A Noêl, j’ai loué un appartement par AirBnB à Seattle pour passer les fêtes avec Allan. Gwen a voulu acheter un ananas. Nous ne mangeons pas souvent d’ananas. Allan avait acheté pour nous des fruits qui ressemblaient à des mandarines, mais bien plus belles, dont j’ai oublié le nom. Puis quelqu’un nous a apporté des clémentines. Le matin de Noêl, quand je me suis levée, les parfums des fruits s’étaient échappés de la petite cuisine en retrait et s’étaient mélangés dans le petit salon, au-dessus de la table. C’était gai, léger, et tout à fait merveilleux. Une odeur de bonheur, des petites fées de bonheurs qui dansaient au-dessus et autour de la table.
Je me suis dit que je devais manquer de parfum. Je n’en avais pas apporté avec moi à cause des réglementations des compagnies aériennes, je ne voulais pas risquer de me faire confisquer une précieuse bouteille.
Donc le lendemain, Gwen et moi sommes parties visiter Seattle, et avons pris le fameux Monorail pour nous retrouver en ville.
Mes pas m’ont guidé vers le grand-magasin, puis vers les parfums. Et là, dans un coin près de l’entrée se trouvait un comptoir Chanel avec tout un assortiment de parfums que je n’avais jamais senti auparavant. Ils faisaient partie d’une collection qu’ils appelaient «Les exclusifs » de Chanel : seize parfums qui, si je comprenais bien, représentaient des moments et des lieux importants de la vie de Coco Chanel. Que connais-je de Coco Chanel ? les lignes classiques du tailleur blanc aux liseré noir, le long collier de perles. Tout ce que je sais d’autre sur elle je l’ai appris d’un film assez récent avec Audrey Tautou.
Moi, une parisienne née à Paris, on ne peut pas plus française, et adorant les parfums, il avait fallu que j’aille à l’autre bout du monde pour rencontrer ces monuments historiques. Certains portaient des noms de monument historiques : 31 rue Cambon par exemple.
Le parfum auquel je suis le plus fidèle est Cristalle, l’eau de toilette, pas le parfum. Cette eau de toilette est très fraiche, piquante et pétillante au départ (je n’y connais rien en termes de parfums), puis s’adoucit en gardant une fraicheur pas acide comme un citron, mais plutôt jeune et pointue comme un diamant, avec des côtés doux et moelleux. C’est frais, léger et élégant avec un caractère jeune et, je l’ai déjà dit mais ne trouve pas d’autre mot, pétillant. Figurez-vous Audrey Hepburn en parfum. Mon idée parfaite du parfum.
Je crois que je n’ai jamais entendu ou lu ce que je pense : que les bouteilles de parfum, comme les bouteilles de vin, ou tout autre produit sont rarement les mêmes, sous le même nom et le même emballage et que leur contenu connait de fortes variations. Certaines cuvées sont réussies, d’autres ne le sont pas. Comment savoir ? Ce n’est pas comme les melons dont on peut sentir la queue. On a parfois de bonnes surprises, et parfois non. Le dernier flacon que j’ai acheté directement chez Chanel m’a un peu déçu. Un peu trop poivré, sans la retombée tendre et fruitée qui reste sur la manche pendant des jours après et qui me fait penser : mais qui est cette fille si sophistiquée ? je veux la connaitre !
Au cours des années, chez Chanel, j’ai essayé Allure. Vous vous souvenez sans doute des années 90, les costumes de carrière aux Etats Unis avec les épaulettes rembourrées. Maintenant j’associe ce parfum que j’avais pourtant convoité à l’époque, et que ma belle-sœur m’avait offert, à une odeur de bureau ; à la trentaine avec ses difficultés (mariage, enfant, travail, ménage, cuisine, lessive). Ne m’en parlez plus.
Et puis Coco mademoiselle. Un autre bureau, une secrétaire qui avait dû en renverser tout un flacon sur la moquette. Elle était enceinte et travaillait dans la pénombre, toute seule, enrobée de cette odeur suffocante, pour un bonhomme méchant qui avait son bureau pas loin. Je m’en suis dégoutée assez vite. Un parfum qui poignarde dans le dos.
L’autre parfum de bureau ? Amarige, de Givenchy. Une autre secrétaire qui s’en aspergeait tous les jours. Elle s’appelait Karla et partait en vacance à Cancun. Je ne peux pas le sentir sans y retourner… South End de Boston, immobilier de bureau. Moi comme un poisson hors de l’eau à taper des contrats. Dommage, parce qu’Amarige me plaisait bien.
Mais pour retourner à Chanel. Voyons, voyons :
Chanel N°5 : petite fille chez ma grand-mère en Bretagne, il y a une dame bien habillée dans le jardin d’à-côté avec son fiancé, un bonhomme pas tout jeune, mais je suis si petite. Et elle sent cette odeur douceâtre dans laquelle vient se mêler comme une odeur de… une odeur de pet ? Est-ce ça, cette aura autour de ces beaux vêtements couleur crème ? Est-ce que vous aussi sentez dans le Chanel N°5 cette arrière-odeur pas très fraiche qui rebute un peu, malgré Marilyn Monroe ? Ca lui va bien, à elle qui dort nue. Mais pas moi.
Cristalle, ça remonte à l’année de terminale. Les filles portaient ça, ou Eau de Rochas. C’était une école privée et ces filles des nobles ou des bourgeoises, pas des filles du peuple. J’étais peut-être jalouse de ce qu’elles pouvaient se payer des parfums. Peut-être que toute ma vie j’ai voulu leur prouver que moi aussi j’étais quelqu’un. Et l’année de mes cinquante ans, je suis encore en terminale.
Alors quand je suis tombée sur ce banc d’essai à Seattle, avec ces noms aguicheurs, je les ai tous sentis. J’aimais les noms de Boy, 31 rue Cambon, j’ai essayé de les aimer, mais ils ne m’aimaient pas spécialement en retour. Cuir de Russie était trop fort pour moi. Bel respiro, la Pausa, intéressants, mais sur quelqu’un d’autre, pas sur moi. Je me suis arrêtée sur Beige et 1932, une fois qu’ils étaient tous passés au crible de mon nez plein de discernement.
Beige sentait le rouge à lèvre, le fond de teint, ce parfum doux et féminin de maquillage. Mais je ne pouvais pas débourser plus de cent dollars pour sentir le maquillage. Et peut-être que je m’en lasserais.
1932 en revanche sentait un peu la même chose, avec une plus forte personnalité. C’était le parfum d’une femme merveilleuse et parfaite, une apparition, comme l’apparition de Delphine Seyrig dans le film Baisers Volés de François Truffaut. Tout en douceur, boa de plumes, poudre et tendresse. L’idéal féminin. Moins gamine que Cristalle, plus Ingrid Bergman qu’Audrey Hepburn. Ce qu’il me fallait pour conduire au bureau pendant les tempêtes de neige, endurer les après-midis assommants, assouplir le dur monde des affaires.
Alors voilà, je suis ressortie avec 1932 de Chanel.
Bonus. Pour vous, les parfums de ma vie. Bien sûr il y en a eu d’autres, mais ceux-ci m’ont le plus marqué :
Arpège, de Lanvin. Il parait que ma mère portait ce parfum. J’ai voulu le retrouver, mais grosse déception, cet ersatz m’a donné mal à la tête. Je dis ersatz parce que ces dernières décennies, les matières premières originales en voie de disparition ou trop onéreuses, ont été remplacés par des molécules synthétiques beaucoup plus abordables. Et bien-sûr beaucoup plus synthétiques : du skaï pour du cuir, de l’acrylique pour du vison. Un jour, je me suis vue jeter la bouteille ronde et jolie, mais importable, dans la poubelle. Du parfum à la poubelle ! Imaginez-vous le flacon qui éclate dans le camion-poubelle, l’effluve qui touche les narines des opérateurs qui sautent de trottoir en trottoir. Qu’est-ce qu’ils en pensent ?
Fidji : ma mère m’en a offert une bouteille autour de mes dix-huit ans. J’aimais bien l’idée, le nom. Mais le parfum ne m’allait pas du tout ! C’était chaud, épicé, moi une adolescente glacée et anxieuse, quasi-anorexique et pétrie de complexes. C’est comme de la vanille sur une carotte crue, une goutte de caramel chaud sur la banquise. Le parfum est très mal à l’aise sur moi. Il se fige. Moi aussi. Mais je n’en ai pas d’autre. Je vois toujours ce pantalon blanc et ce pull en coton bleu clair, alors qu’il aurait fallu un pareo à Hawai ! J’en ai racheté à mes cinquante ans pile-poil. Et maintenant ? c’est parfait.
Aromatics Elixir : je l’ai senti sur la jeune femme Iranienne pour qui je travaillais l’été de mes dix-neuf ans comme jeune fille au-pair. Sur elle, c’est oriental, riche, chaleureux, profond. J’en achète un flacon après l’autre (très cher) les années suivantes, probablement pour m’approprier la sexualité sûre-d’elle, la maturité confirmée. Mais je sens bien que les essences restent en surface, pas-intégrées, que la chaleur ne se développe pas. Ca sent presque l’essence. Au bout d’un moment, je laisse tomber.
Je crois que l’alchimie d’un parfum est liée à la vie émotionnelle, sensuelle et sexuelle d’une personne. Les parfums qui m’allaient bien ?
Un certain flacon de Tiffany, épicé mais moelleux. Composition selon le site : A luxurious floral bouquet of damascena rose (rose de Damas), Indian jasmine, ylang ylang, fleur d’orange and iris. Des effluves légères et chaleureuses, rassurantes. Un accord parfait. Je n’ai jamais retrouvé l’équilibre de ce premier flacon et la façon dont il se développait sur moi.
Trésor de Lancôme : quand il fait froid dehors, quand on a perdu son travail, quand on divorce, rien n’est plus réconfortant qu’un parfum doux, sucré, et fleuri, n’est-ce pas. De la barbe à papa rose à porter sur soi. Mais quand ce flacon-là était fini, je n’ai pas retrouvé son pareil. Dommage.
Ces jours-ci, je choisi entre 1932, Cristalle, et puis …
J’ai toujours eu un faible pour Calèche, d’Hermes. Un jour, toujours à dix-huit ans, j’ai accompagné mon père à Paris. C’était un trajet de 4 heures en voiture au moins à partir de Nantes. Je me suis promenée aux Galeries Lafayette. J’ai aspergé l’intérieur de mon poignet d’un peu de Calèche. Et tout au long du retour, je suis revenue sur mon poignet à cette senteur précieuse comme l’or, raffinée et boisée. Le summum de l’élégance. Trop élégant pour moi. Il faudrait que je sois quelqu’un d’autre de bien plus que moi : La Papesse du jeu de Tarot, pas le pendu.
Si ça vous amuse, voici des descriptions glanées au hasard sur le web et reproduites ici :
Cristalle (eau de toilette) La délicatesse d’une rosée matinale, les rayons des premiers soleils printaniers. Un fleuri-frais oscillant entre caractère et transparence. Force et légèreté. Naturel et sophistication.
Explosion de fraîcheur en tête avec le citron de Sicile, la mandarine, la jacinthe et le chèvrefeuille. En coeur apparaissent des notes fleuries sophistiquées et sensuelles comme le jasmin, la jonquille et l’Ylang-ylang.Au bout de la mélodie, un lit de mousse de chêne et de racines de vétiver apporte profondeur et élégance.
Fidji : La tête a une modernité verte de galbanum, de jacinthe, tonifiée par la bergamote et le citron.L’oeillet, une fleur épicée, renforcée de girofle, lui donne son caractère. A ses côtés, la rose, le jasmin et des notes violettes.Le fond est délicatement poudré par les baumes, le musc, le patchouli, le santal et l’ambre.
Aromatics Elixir : En tête, les notes aromatiques de verveine, de sauge et de camomille dominent, puis laissent la place aux notes florales douces de géranium, de rose et de fleurs blanches: ylang-ylang, jasmin et tubéreuse. Le fond vert “mousse” est caractéristique des chypres : il allie la force du patchouli à celle de la mousse de chêne et au vétiver.
Calèche : Composé par Guy Robert en 1961, Calèche est le premier féminin de la maison. C’est un floral boisé chypré, d’une grande féminité, dont le nom fait écho à l’attelage emblématique d’Hermès. Calèche est un roman qui brille par la beauté de ses matières premières, de la gaieté des agrumes à la modernité des notes aldéhydées, du cœur floral brodé d’ylang-ylang, de rose et de jasmin, au sillage boisé, chypré, souligné par la noblesse de l’iris.
Son départ frais et gai ouvre sur un cœur de rose de Damas et de rose de mai amplifié par une note aldéhydée de synthèse, fameuse substance ayant fait le succès du N°5 de Chanel. Puis viennent des nuances dites chyprées de mousse de chêne, de vétiver, de cyprès, de cèdre et de santal, sur lesquelles le poudré de l’iris s’appuie avec raffinement.
Well, that was good exercise for my rusty French! Although I skimmed a little… So you don’t lose ALL your anglophone readers. Next time I see you I will have to sniff 🙂
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Les domaines où les Français excellent:
le Vin
l’Amour
la Gastronomie
la Danse
la Poésie
la Musique
l’Avion
et les Parfums
Une belle exploration. Brava!
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