Poème #33 – RITUEL DE LA BOULANGERIE
Elle m’amuse et elle m’agace
Dans son rôle aux répliques immuables
La jeune femme derrière le comptoir
Tablier blanc sur fond de pain frais du matin
“Bonjour messieurs-dames,
Et pour Madame ce sera? »
Avec sa petite rengaine bien rodée
Qu’elle sert à tous les clients
Elle y met toujours le même ton,
Artificiel, chantant, mécanique
Les mêmes trois notes de musique
« Est-ce qu’il y aura autre chose? »
Je rêve de savoir si elle sait d’autres mots
un autre refrain en d’autres circonstances
J’aimerais bien lui demander, par exemple
De le prononcer sur d’autres tons –
Pourriez-vous essayer mielleux, élogieux ?
Moqueur, méprisant, malicieux ?
Changez-moi ça en sol mineur
Ou sur une petite phrase de Chopin
Imaginez-vous parlant au Président
Faites-moi la même chose en Allemand.
« Une baguette Poilâne s’il vous plait »
« Une baguette Poilâne pour Madame
Et avec ceci, ce sera ? »
J’aimerais la secouer un peu
Comme ces prêtres qui répètent la messe
En pilote automatique
Comme s’il n’y croyaient plus
Mais c’est justement ça qui m’agace
C’est qu’elle n’en a jamais douté
De son rôle derrière le comptoir,
Que sa chanson reflète sa foi
Qu’elle est au bon endroit au bon moment
Avec une formule approuvée pour l’usage liturgique
Alors c’est peut-être que je l’envie
D’être bien dans son rôle établi
Je la regarde dans ses yeux bleus
« Non, ce sera tout »
« Ce sera dix euros vingt-cinq. »
Et pour Monsieur, ce sera ? »
A lui de recevoir le pain.
*
J’ai une sorte d’aversion pour les gens qui me semblent faux, hypocrites, trompeurs. Et le manque de naturel de certains commerçants en France, parce qu’ils ont des formules toutes faites sur des mélodies singulières, me fait rire et me provoque. Mais en y pensant bien, je réalise qu’il s’agit peut-être pour eux de rites.
Ma réaction fait sûrement partie du choc culturel à l’envers que l’on ressent quand on revient dans son pays natal.
Ceci-dit, je ne peux dire combien me manquent les boulangeries Françaises, hmmm… le bon pain, les croissants, les viennoiseries. Tout ça, un autre poème.