2 – Le mystère des ancêtres bretons

Papa m’avait dit au téléphone avant notre voyage : on fera une balade sur des lieux où ont vécu tes ancêtres.
Les cinq dernières années, il a fait de la généalogie pour occuper sa retraite, entre autres. Il a retracé tout un arbre en ligne. C’est fou ce qu’on peut trouver de nos jours : documents de naissances, mariage, décès. Moi, ça ne m’intéressait que moyennement jusque-là, parce que j’avais d’autres préoccupations plus urgentes. Mes filles. Le travail. La maison. Les courses. Les finances. Lui il avait le temps.  Il fait aussi partie d’un groupe de langue bretonne, des gens qui cultivent activement le mouvement bretonnant.

J’avais parlé à Gwen de cette visite à ses ancêtres. Elle semblait intéressée par ce projet. Je ne sais pas ce qu’elle imaginait. Peut-être que, comme moi, elle voyait des châteaux se profiler au loin, des ruines, des vestiges d’un passé prestigieux, même si je savais bien que nous n’avions pas d’ancêtres remarquables.

Il avait été décidé que nous irions sur les lieux les plus proches. L’église où s’étaient mariés les parents de mon grand-père maternel. Nous sommes partis dans l’après-midi.

La bretagne sous la chaleur, c’était très rare autrefois. Mais c’est la canicule ces jours-ci. On passe par Lochrist-Inzinzac, où a grandi ma mère, où ont vécu mes grands-parents, chez qui nous passions nos vacances étant petits. Je me souvenais des routes de campagne bordées de blé, de mais, de Sarazin. Les champs avec les vaches à l’ombre des pommiers, les longères de pierre, des maisons si basses qu’on a du mal à s’imaginer la taille de ces bonhommes et bonnes-femmes d’autrefois, en costume.

La lumière poudroie sur les champs de blé dans l’air chaud. On s’arrête d’abord dans un petit village de pierre à l’air inhabité. On pourrait se croire aux moyen-âge. Pas âme qui vive, pas un chat. Une église se dresse au milieu de la place. J’ai lu quelque part qu’au 17e siècle Dieu était ce que représente l’argent de nos jours.
Nous nous approchons de l’église : c’est là que les arrière-grands-parents de ta mère se sont mariés, dis-je à Gwen. Elle regarde partout d’un air intéressé, plutôt inhabituel. A dix-sept ans, elle se réfugie d’habitude dans la musique qui sort de ses écouteurs.
Elle a dû raconter à son nouveau petit-copain qu’elle renouait avec ses racines et compte le tenir au courant.

On a de la chance, la porte est ouverte, c’est rare. En général, les églises sont fermées en semaine. Une dame à l’intérieur est en train d’arranger des fleurs, de faire du ménage. L’église est de taille humaine, j’imagine les noces, ces jolies petites personnes en costume, une parade de gens du village, des cloches qui sonnent. « Tu sens les vibrations du passé ? si ces gens ne s’étaient pas mariés là, tu n’existerais pas ! »
Je me demande quels traits physiques, psychiques je porte dans mon ADN, hérité d’eux. Je trimbale des brindilles d’information de ces gens-là. Et ce qu’ils m’ont transmis, je l’ai transmis à ma fille aussi.

L’intérieur est frais, propre et joli. On a envie de rester et de prier, de s’isoler dans cette bulle de calme et de bienveillance. De sacré même.
La lumière hésite à pénétrer à flots dans l’espace, elle reste, avec la chaleur, à l’orée de la porte.

Papa entame une conversation avec la dame. qui raconte : « L’église s’appelle Notre Dame des Fleurs. Des fleurs qui se transforment en fruits. »
Gwen écoute, l’air concerné, même si elle ne parle ni ne comprend le français, malgré mes efforts.  Je suis bien contente qu’elle fasse une connexion physique avec ses origines et aussi avec la dimension sacrée de cette église.

Que la porte ait été ouverte, c’est sûrement un signe. Un signe que ces ancêtres nous font signe, qu’ils nous accueillent, qu’ils veulent nous mettre du vent dans les voiles.
« Quand on passe des moments difficiles, a dit papa à un moment, je pense à mes ancêtres, comme ils m’encouragent, me veulent du bien. »
Mon père, des moments difficiles ? je le croyais invincible, un super-héro.

Dans la sérénité du temple, tout est à sa place. Un escalier en colimaçon monte à une chaire étroite d’où j’imagine des incantations à une vie sans péchés. Mais quels péchés dans ce village vide ? J’aimerais secrètement que Gwen monte les marches et du haut de son surmontoir dise ses quatre vérités aux quatre coins du monde. Je me demande par moment si j’ai inconsciemment encouragé en elle mes propres tendances rebelles refoulées. Elle a peut-être exprimé mes désirs secrets. Elle n’en fait qu’à sa tête avec ses piercings, ses tatouages.

Puis nous remontons dans la voiture et retrouvons les routes paisibles bordées d’arbres ombrageux, de champs qui poudroient dans le soleil d’été, avec des vaches, des fermes de pierres où on doit pouvoir acheter des crêpes, si j’en crois mon souvenir.

On s’arrête à la croisée de deux chemins. Un petit groupe d’habitations. Une ancienne ferme avec son étable et dépendances. La maison est visiblement habitée, mais encore une fois pas de signe de présence. Qui vit actuellement dans ce logis archaïque peint de couleur ocre ? On arrête la voiture, on descend. J’explique à Gwen : Tu vois, c’est là qu’habitaient tes ancêtres.
Tout est assez hypothétique. Mon grand-père aurait grandi ici ? On fait comme si. J’en fais même des tonnes : Tu te rends contre, on foule du pied le même sol qu’ils foulaient ! Et sous le même soleil !

Sur la route, dans un champ, deux chevaux de labour semblent attachés à la hanche, faisant face à deux directions opposées. Impassibles. On leur fait la conversation mais ils ne parlent pas la même langue.

Gwen et moi continuons à marcher et on arrive à une Gite d’étape/Chambre d’hôtes. La dame de l’église nous en avait parlé : les Anglais achètent des fermes dans le coin. Ils ont acheté une longère et ils en ont fait un gite.

Je ne sais pas quoi en penser. Les Anglais ! ceux que Jeanne D’arc avait boutés hors de France ? achetant maintenant nos fermes et nos campagnes.

« Tim me dit qu’il m’emmènera là » me dit Gwen fièrement du haut de son amour tout neuf, en parlant du Gite d’Etapes. Apparemment ils sont en ligne. Moi je dis Hallelujah.

J’ai du mal à la voir grandir. Elle a toujours cinq ans dans mon esprit. Mais je sais c’est un sentiment commun, on vient de regarder Father of the Bride sur Netflix.

Voilà, c’était le tour des ancêtres, du côté de ma mère. Il faudrait beaucoup plus de temps pour rendre visite à ceux de mon père, au moins deux heures de route. Nous (Gwen et moi) ne sommes là que pour quelques jours et on (papa et maman) n’est pas prêt.

Pour l’instant, de nos ancêtres que n’ai perçu que des vies simples, un confort minimum qui leur a permis de voir le jour, de rester en vie assez longtemps pour vivre, survivre, pour arriver à ce moment où ma génération essaye d’explorer ce passé du haut de nos voitures, avions, internet. On apporte avec notre vision notre peur du futur, des changements climatiques, des guerres, des virus. 

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