POEME POUR LES DEFENSEURS DE LA LANGUE BRETONNE
Si on utilise Google Earth
Si on fait une descente pointée
Vers la terre au bout d’un pays
Au bord de l’océan atlantique
Un coin qui ressemble à un nez
On arrive, en décélérant, en Bretagne.
Partout dans le monde les gens
Lèvent le poing et se font entendre
Pour des causes diverses
En Bretagne certains se battront jusqu’au bout
Avec l’entêtement sacré des Bretons
Pour défendre leur identité.
Je suis née à Paris
De deux parents aux racines bretonnes
Que portons-nous dans notre ADN ?
Pour certaines races, c’est très visible
Une couleur de peau, une texture de cheveux
Des yeux bridés
Chez les bretons on observe
Quelque-chose de robuste et tenace
Comme le genêt qui pousse le long des
Côte rocheuses de l’Atlantique.
Vers vingt ans je suis partie
Pour devenir citoyenne de l’univers
Mais quand je retourne en Bretagne
Je sens mes racines se réveiller
Ces racines solides et puissantes, rouge sang.
Ça passe par les petits villages parfois désertés
Aux maisons de pierre trop basses pour nos tailles actuelles
Aux hortensias sur fond de ciel gris
Ça passe par l’odeur des crêpes de blé noir, du cidre fermier
Ça passe par la musique bretonne,
Une culture musicale si riche
Que ceux qui ne s’y sont jamais penchés en auraient le vertige.
J’ai grandi bercée par les chansons paillardes de La suite Armoricaine
Sur le disque d’Allan Stivell, sans en comprendre un mot,
Les noces bretonnes au biniou, et les belles chansons de Gilles Servat
La jument de Michao des Tri-Yann à l’école à Paris.
Mon père prenait des cours de breton : Kenavo, Piou eo ?
Je savais compter jusqu’à cinq. A six ans, je trouvais ça bien
Cette identité-étiquette à coller sur ma figure
Pour pouvoir être intéressante à la récré.
Il nous ramenait de ses cours
des Traou-Mad précieux en boîte
des crêpes dentelle couchées dans du papier doré
Mais la vraie Bretagne était chez les parents de ma mère
Dans le Morbihan, où nous allions pour les vacances.
Et pour ceux qui ne savent pas
Le Morbihan, le Finistère, les Côtes d’Armor, et l’Ille-et-Vilaine sont aussi
Disparates dans leurs particularités et leur identité
Que la Mauritanie, l’Ethiopie et le Congo en Afrique
Chacun tenant dur comme fer à leurs différences de dialecte
Leur prononciation, leurs variations dans le gâteau breton
Ou les crêpes.
Il y a les bretons pêcheurs et les bretons cultivateurs.
Mes grands-parents n’étaient plus ni l’un ni l’autre
Bien qu’ils habitassent plutôt près de la mer
Mais quand ma grand-mère sortait le bon beurre breton
Ou nous faisait ses crêpes de sarrasin, nous savions
Sans erreur où et qui nous étions.
Mon grand-père nous montrait les champs où poussait le blé noir
Le blé du pauvre.
Ma grand-mère parlait breton aux vieilles en coiffe.
Je grandissais un pied dans la culture Parisienne
Et l’autre dans la force crue de la Bretagne
A Paris, je me voulais bretonne, pour me différencier de l’uniformité
En Bretagne j’étais parisienne pour me démarquer de l’accent
Rustre qui me gênait,
Et de la rusticité de certaines choses primaires.
La musique même venait des viscères
Une veine au pouls battant si fort
De la vie animale qui primait.
En Bretagne il y avait les fest-noz
Les costumes et les jolies coiffes de dentelle.
Et puis il y avait un vent celtique
Je lisais et relisais les Contes et légendes de Bretagne
Qui parlaient des superstitions, des Korrigans et de l’Ankou
Et Le cheval D’orgueil, qui retraçait la vie d’une famille.
Mais ce n’était pas toujours beau, la Bretagne
Pas toujours reluisant – il y avait parfois la pauvreté
Et l’alcoolisme assez visible
La Bretagne c’était aussi certaines rues tristes
Du village de mes grands-parents
Sous le crachin et une sorte de désespoir tranquille.
Les vieilles chaumières de pierre n’étaient pas toujours restaurées
Ni décorées
La Bretagne à l’état brut était brute
Et si ça avait son charme un petit moment
J’avais hâte de rentrer à Paris
Ou à Nantes, plus tard
Dans des contrées plus civilisées.
Et puis les choses ont changé
Avec le temps, les enfants de la ferme
Où nous allions chercher du lait dans les bidons de fer
Les pieds en sabot de bois dans le purin et la boue
Sont « montés à Paris »
Ont fait de hautes études et tenu des postes à responsabilité.
Tout comme en Irlande, où le gaélique était enseigné dans les écoles
Ils ont ouvert des écoles bilingues pour leurs enfants
Bien longtemps après que le gouvernement
Les ont forcés à devenir français, standardisés, uniformisés
Ils prenaient leur revanche. Le breton revenait en beauté
Par la grande porte.
Et le tourisme s’est développé, et le monde entier raffole maintenant des crêpes
De blé noir et de froment, au bon beurre de Bretagne
Ils viennent en masse voir les peintures de Gauguin à Douarnenez
Aux concerts des Tri-Yann, de Dan Ar Braz
Ils affluent de tous les coins du monde pour le festival de musique Celtique
Ils achètent des cartes postales Mam’Goudig prouvant qu’ils étaient bien là
Parmi les phares breton, le far breton, avec leurs cirés jaunes dans le crachin
Ils ramènent chez eux des boîtes de galettes bretonnes, de caramels au beurre salé
Et la recette du Kouign-amann.
Alors si je n’ai pas les yeux bridés, et si ma peau est aussi blanche que n’importe quel caucasien
L’ADN ne trompe pas et vous dira que je suis bretonne pur beurre.
Tout le passé des bretons et leur présent, j’ai ça en moi.
Et je dédie ce poème aux défenseurs de la langue bretonne.