Regarde les hirondelles! Tu les vois, là ?
Je regarde. Bon, je n’ai pas de très bons yeux mais je vois en effet des traces noires qui volent, deux, qui se chassent dans le ciel bleu.
Nous sommes assis sur le deck de notre maison au nord de Boston. C’est l’été. Je sirote mon café du matin avec Allan avant de partir au boulot.
Des hirondelles ? sûrement, il doit se tromper.
Ma référence, pour les hirondelles, c’est sur le mur de la classe, un grand poster que la maitresse a déroulé et qui couvre maintenant le tableau noir. Ca sent la poussière de craie. Quelle excitation, ce tableau sur le mur. C’est l’illustration qui vient du livre, mais agrandie à la taille du tableau, pour que la maitresse puisse nous pointer des détails de sa longue baguette de bois. Dans des tons bruns, une scène dont nous tirerons des leçons, des histoires à lires, des phrases de grammaires à disséquer, des leçons de chose. En attendant, je me perds dans l’image.
Un petit garçon et un adulte marchent dans la rue, et le vent fait voler un manteau. Il y a peut-être un parapluie, un chapeau. Des nuages dans le ciel. Et un grand mur, il me semble me souvenir, au-dessus duquel on voit des hirondelles alignées sur un fil. La leçon c’est l’Automne : on apprend que les hirondelles s’en vont. Pour une raison ou pour une autre elles s’alignent sur les lignes téléphoniques. Je n’en ai jamais vu en réalité des hirondelles. D’abord, chez moi il n’y a pas de mur comme ça. Et puis j’habite à Paris. Il y a une blague qui dit que les petits parigos, si on leur demandait de dessiner un poulet, ils dessineraient un poulet sous-vide du supermarché. Hahaha. Mais bon, quand même, des hirondelles, je n’en ai jamais vu.
On apprend que les hirondelles arrivent au printemps et repartent en automne, si j’ai bien retenu la leçon. Donc comme elles ne font que passer, en voir une serait comme gagner à la loterie. Alors je me résigne à ne les voir que sur ce joli tableau qui fait rêver. Comme si j’avais besoin de rêver. Je me perds dans un flou artistique, regardant la poussière de la classe danser dans les rayons de lumière. Je m’envole comme les hirondelles.
Mais ça fait longtemps, je suis en train de plonger dans une leçon d’il y a quarante-cinq ans à peu près. De ma vie, je n’en ai jamais vu, des hirondelles, à part sur ces illustrations, leur silhouette fabuleuse, noire, reconnaissable à la queue en fourche.
Donc quand Allan me signale les hirondelles dans le ciel, je me réveille. Hein ? quoi ? des hirondelles ?
Je sais que j’ai besoin de lunettes, mais je ne vois pas les jolies silhouettes de l’illustration de ma classe de CP. Peut-être qu’elles sont trop loin. On dit swallows ici, peut-être que c’est une autre espèce d’hirondelles, sans queue de pie. Des hirondelles qui ne font pas le printemps, qui ne font pas l’automne non plus. Des hirondelles de l’été, et de mon présent. Comme tout change.
* * *
Look, swallows! Do you see them?
I look. Without my glasses I do see two birds chasing each other in the blue sky.
We are sitting on the deck of our home north of Boston. It’s summer. I sip my morning coffee with Allan before going to work.
Swallows? surely he must be wrong.
My reference, for swallows, is on the classroom wall, a large poster that the teacher has rolled down and which now covers the blackboard. The air smells like chalk dust. What excitement, this picture on the wall. It comes from our textbook, enlarged to the size of the board, so that the teacher can point to details with a long wooden stick. In brown tones, it shows a scene from which she will draw lessons, stories, grammar sentences to dissect, science topics. In the meantime, I lose myself in the image.
A little boy and an adult walk down the street. The wind blows up coats. There may be an umbrella, a hat. Clouds in the sky. And a large wall, I seem to remember, above which swallows line up on a wire. The lesson is Fall: we learn that swallows migrate away for winter. For one reason or another they line up on the phone lines. I have never actually seen swallows. For one, at home there is no wall like this one. And then I live in Paris. A joke says that if Paris children were asked to draw a chicken, they would draw a packaged chicken from the supermarket. Hahaha. But still, I’ve never seen a swallow.
We learn that swallows arrive in the spring and leave in the fall, if I remember the lesson well. So as they are only passing, seeing one would be like winning the lottery. I resign myself to seeing them only on this pretty picture that makes me dream. As if I needed to dream. I am lost in a soft focus, watching the dust dance in rays of light. I fly away like swallows.
But it has been a long time, I’m tapping into a lesson that is forty-five year old. In my life, I’ve never seen swallows, their fabulous black silhouette recognizable by the forked tail, except on these illustrations.
So when Allan points out the birds making loops above us, I wake up. Huh? what? swallows?
I know I need glasses, but I do not see the pretty silhouettes of the illustration of my first grade class at all. Maybe they are too far away. We say swallows here, maybe it’s another kind of hirondelle, without the telltale tail. Swallows that do not make spring, and do not make fall either. Swallows of summer, and of my present. How does everything change!