Assise à mon bureau dans le laboratoire de langues au cœur du campus, l’antre secrète où se déroule une alchimie importante à l’aide de pistes enregistrées qui rappellent les films de James Bond, celles qui s’autodétruiront dans la minute suivante. Un apprentissage sérieux est en cours. De nouvelles connexions neuronales sont en voie de construction.
Les non-locuteurs d’une langue seront transformés, grâce aux écouteurs qui contournent leur tête, en espions potentiels dans les pays étrangers. Les ambassadeurs éventuels auront le pouvoir de faire un putsch et de changer la face du monde.
Le matériel utilisé est légèrement daté, en harmonie avec les murs lambrissés, les parquets, les bureaux en bois. Les murs sentent encore le patriarcat des années cinquante dans ce collège réputé d’arts libéraux, au départ réserve aux hommes. Je me sens en sécurité.
Quelques heures par semaine, je porte le poids respectable du bon fonctionnement du laboratoire de langues. Je garde trace du matériel que les élèves ont emprunté, rendu, et les leçons respectives.
Puis je regarde cette armée de chercheurs ambitieux s’éloigner vers un bureau où un lecteur de cassette intégré les attend, connecté à des écouteurs personnels qui garderont leurs affaires confidentielles et sûres.
Je sais, pour avoir utilisé le mécanisme moi-même, la voix de robot enregistrée qu’ils entendent :
Bonjour, je m’appelle Jacqueline
Enchantée de faire votre connaissance
Je n’entends que les voix des étudiants qui répondent à un interlocuteur fantôme.
Ils apprennent le chinois dans le confort d’un minuscule cube. J’entends le cliquetis de l’avance rapide et du retour rapide, et les voix étouffées comme des perruches timides en sourdine faisant une conversation polie sur le temps, les jours de la semaine, les parties du corps.
Oui, je joue au foot les mardis. Oui, je voudrais une tasse de thé, s’il vous plaît.
Que voulez-vous pour le déjeuner? Quelqu’un répète encore et encore, comme s’il était soudainement frappé de la maladie d’Alzheimer.
Vieille blague : “Comment se rend-on à Carnegie Hall?” “travail, travail, travail”…
Et je pense à la noblesse de l’entreprise, se comprendre les uns les autres, tendre la main vers une fraternité humaine, même si cela commence par parler comme des tout-petits.
Mais ce que j’aime le mieux, c’est de ressentir le poids du passé, la chaleur du bois, la tranquillité du laboratoire, ses tâches bien définies, ses fiches de carton poussiéreuses, son utilité certaine dans un monde d’incertitude.
Voulez-vous reprendre du thé?
LANGUAGE LAB
Sitting at my desk in the language lab at the heart of depth of Campus, the secret lair where important alchemy takes place with the help of recorded tracks that remind one of James Bond movies, those that will self-destruct within the next minute. Important learning is taking place. New neural pathways are being built.
Non-speakers of a language will be transformed, through the headphones that semi-circle their heads, into potential spies in foreign countries. Future ambassadors with the power to make a putsch and change the face of the world.
The material used is slightly dated, in keeping with the wood-paneled walls, wood floors, wood desks. The walls still smell of the fifties’s patriarchy in this reputable liberal arts college, originally exclusively for men. I feel safe.
A few hours a week I carry the respectable weight of the smooth operation of the language lab. I keep track of the material students logged-in, logged-out, what lessons.
And then I watch this army of ambitious seekers walk away to a desk where a built-in tape-player awaits them, connected to personal headphones that will keep their business confidential and safe.
I know for having practiced there myself, the robot-voice they hear:
Bonjour, je m’appelle Jacqueline Enchantée de faire votre connaissance
I only hear the students’ voices answering a disembodied party.
They learn Chinese from the comfort of a tiny cubby. I hear the clickety click of fast-forward and rewind, and their tentative, muffled voices like shy muted parakeets doing polite conversation about the weather, the days of the week, body parts.
Yes, I play soccer on Tuesdays. Yes I would like a cup of tea, please.
Que voulez-vous pour le déjeuner? someone repeats again and again, as if suddenly stricken with Alzheimer’s. That’s right. Practice, practice, practice.
And I think of the nobleness of the enterprise, understanding each other, reaching out to one another towards a brotherhood of human people, although it starts by speaking like toddlers.
But the best is to feel the weight of the past, the warmth of the wood, the quiet peace of the lab, its clear-cut duties, its dusty cardboard cards, its certain usefulness in a world of uncertainty.
Encrusted with rubies and emeralds A beautifully bejeweled animal Crawls on the cover of the book that fell on the linoleum of my dorm room.
A giant turtle so heavily laden that it dies under the weight of its adornments Sacrificed to the decadence of humans With too much wealth, imagination And opium-induced aesthetic visions.
Aberrations! I discover, innocent from afar In my 19th century French literature class: Huysmans, with Professor Guiney The past vile vices of my fellow Frenchmen.
When I lift my gaze from the page My eyes meet grey walls through grey air The bedcover bought at Sam’s club
Together with the cheap radio clock – I travel slowly back from France A Rebours through time and space.
A REBOURS
Incrusté de rubis et d’émeraudes Un animal magnifiquement orné de bijoux Avance à pas lents sur la couverture du livre Tombé sur le linoléum de ma chambre de dortoir.
Une tortue géante si lourdement chargée Qu’elle meurt sous le poids de ses ornements Sacrifiée à la décadence des humains Trop pourvus de richesse, d’imagination Et d’esthétiques visions induites par l’opium.
Aberrations ! Je découvre, innocente et de loin Dans mon cours de littérature française du XIXe siècle : « Huysmans, avec le professeur Guiney, » Les ignobles vices passés de mes compatriotes français.
Quand je lève les yeux de la page Mon regard rencontre à travers l’air gris Le couvre-lit acheté chez Costco
Et le radio-réveil bon marché. Je reviens à pas lents de France A Rebours à travers le temps et l’espace.
Dans la série de mes souvenirs de jeunesse, la découverte de Huysmans dont je n’avais jamais entendu parler, probablement parce que mes études étaient concentrées sur la littérature anglophone.
Illustration: Auguste Leroux: Excerpt from lithograph from the 1920 edition of J.K. Huysmans’s À rebours
Sous la lumière rouge Dans le labo photo Un bac de liquide chimique Où trempe une feuille de papier blanc
Des formes se dévoilent Apparaissent les contours flous Puis les contrastes noir et blanc Et pour la postérité vient au monde :
Venus sur chemin de fer
Petite nymphe de passage T.A. aux heures officielles Nerveuse parmi les feuilles mortes De chêne d’Amérique
Cette photo est de moi debout Nue, cheveux châtains mi-court Hanches carrées, jambes solides Le long de la ligne de chemin de fer
Ma belle jeunesse sur pellicule Victime d’un rite local bénin Bien avant l’heure du digital Organique plutôt qu’érotique
Elle est cachée dans un tiroir Dorénavant ma peau blanche d’antan je l’ai vite rhabillée, cette jolie fleur.
Un autre souvenir, caché dans un tiroir. Je me demande encore comment je me suis laissé persuader de poser pour une photo nue sur le Trestle, ligne de chemin de fer abandonnée dans les bois du collège par mon boyfriend– sorte de rite des étudiants avec leurs girlfriends, comme un pari. De nos jours, depuis le digital, voir son image ne donne plus même frisson.La photo du photographe (ci-dessus) est de moi.
Et la traduction fait-maison:
VENUS ON THE TRESTLE
Under red light bulbs In the photo lab A tank of developing fluid Where a sheet of white paper lies
Shapes are revealed Blurred outlines appear Then black and white contrasts And for posterity comes into the world:
Venus on the Trestle
Little nymph passing by T.A. at official hours Nervous among the fallen leaves Of American oak
This picture is of me standing Nude, shoulder-length brown hair Square hips, strong legs On the railway line
My beautiful youth on Kodak film Victim of a benign local rite Long before the digital age Organic rather than erotic
She’s now hidden in a drawer This white-skinned girl of yore I quickly dressed her back again, That pretty flower.
In my teeny tiny dorm room I bring pen to research paper Desk underneath the cabinet Particleboard doors aligned Workplan lit up by buzzing neon light I sing the Song of Myself I sing the Body Electric
Across my desk and the bed The window is screened The view fogged up Obliterating leaves of grass outside Below, the A/C unit All green body, metal flaps And uncomplicated buttons Sings with me, noisy and ineffective
On my wall stretches out a map Where, In the glow of neon light I roam the roads of America Covering ground with Walt Whitman Though I occasionally get up For a can of orange Minute Maid At the vending machine outside the door To quench my thirst while I write my thesis My self-imposed American quest for Liberation For the spirit!!
Dans ma minuscule chambre de dortoir Je mets le stylo au papier Bureau sous les placards Portes en contreplaqué alignées Plan de travail éclairé par néon bourdonnant Je chante la Chanson de moi-même Je chante le corps électrique
En face du bureau et du lit La fenêtre est grillagée La vue embuée Oblitérant dehors, les feuilles d’herbe Au-dessous, le climatiseur Corps vert, panneaux métalliques Boutons simples d’usage Chante avec moi, bruyant et inefficace
Sur le mur s’étend une carte Où, à la lueur des néons Je parcours les routes d’Amérique Je franchis de longues distances avec Walt Whitman Bien que je me lève de temps en temps Pour une canette d’orange Minute Maid Au distributeur automatique devant la porte Pour étancher ma soif pendant que j’écris ma thèse Ma quête personnelle de l’Amérique Pour la libération Pour l’esprit !!
Retour à mes souvenirs de jeunesse. Je lisais Leaves of Grass (entre autres) pour mon mémoire de maitrise. Comme je suis l’autrice et la traductrice, je suis la seule responsable de mes adaptations. Comme bonus, je vous mets une traduction d’une partie du poème de Walt Whitman, ici :
1
Je me célèbre moi-même, me chante moi-même, Toi tu assumeras tout ce que j’assumerai, Car les atomes qui sont les miens ne t’appartiennent pas moins.
Je flâne, j’invite mon âme à la flânerie, Flânant, m’incline sur une tige d’herbe d’été que j’observe à loisir.
Ma langue, l’ensemble des atomes de mon sang, façonnés par le sol d’ici même, l’air d’ici même, Ma naissance, ici même, de parents eux-même nés ici, comme les parents de leurs parents avant eux, Trente-sept ans ce jour, santé parfaite , je commence, Comptant bien ne plus m’interrompre avant la mort.
Congédiés les credo, congédiées les écoles, Ayant pris mesure exacte d’eux sans mépris mais avec du recul, J’accueille, est-ce un bien est-ce un mal, je laisse s’exprimer sans fin La nature hasardeuse dans sa vierge énergie.
There was an invisible man in the library Who was introduced to me by my new boyfriend Late at night As he worked there His skinny chest bent over a desk Studious, dedicated Taking his responsibilities As library desk officer seriously Even when there was no-one there anymore All the students having moved on to other Evening and night tasks and activities.
I stayed there just because I did not want to miss a beat With the boy behind the counter Who was telling me About The Invisible Man By Ralph Ellison Who joined the group of Kenyon ghosts That hovers in my memory.
But that new boyfriend of mine, Chastised and chased me away Reminding me of my own duties My own ambitions that I admit, I was neglecting And thanks to him, perhaps and more than a little hurt I reluctantly crossed the darkened campus To my dorm room And tackled my research and thesis While he and the invisible man Kept busy over there.
Il y avait un homme invisible dans la bibliothèque Qui m’a été présenté par mon nouvel ami Tard un soir Alors qu’il travaillait Son maigre torse penché sur le comptoir Studieux, dévoué, Tenant ses responsabilités De responsable de la bibliothèque au sérieux Même quand Il n’y avait plus personne Tous les étudiants étant partis Vers d’autres tâches et activités nocturnes.
Je restais là pour la bonne raison que Je ne voulais pas manquer une minute Avec le garçon derrière le comptoir Qui me parlait, entre autres De l’Homme invisible Par Ralph Ellison Qui joignit ainsi le groupe des fantômes de Kenyon Qui plane encore dans ma mémoire.
Mais ce nouveau petit ami M’avait grondée et chassée des lieux Me rappelant à mes propres devoirs Mes propres ambitions que Je l’avoue, je négligeais Et grâce à lui, peut-être Blessée, et à contrecœur Je traversai le campus assombri Jusqu’à mon dortoir Pour aborder mes recherches et ma thèse Alors que l’Homme invisible et lui S’affrontaient encore là-bas.
Chers ami(e)s, je suis émue. Je poursuis mon mémoire en condensé poétique, et j’ai l’impression d’avoir fait un grand pas vers le futur en arrivant à mettre côte à-côte mes petites affaires linguistiques. Alors voilà.
Pour l’Agenda Ironique de Mai, une continuation de La vraie journée des femmes, pondu en Mars dernier. Certains m’avaient demandé une suite, alors la voici ! Français d’abord, et Anglais après. Les contraintes étaient : un bruit étrange et beau, cyclo-pousse. Île et poirier.
Fernande
Dans le bus pour Boston Fernande portait son sac-à-dos sur les genoux.
Barbara l’avait déposée à la station de bus comme tous les jours depuis deux semaines. Passe une bonne journée! Fais attention, évite le Marathon il va y avoir foule ! Elles s’étaient fait la bise.
Comme elle est naïve, Barbara, se disait Fernande. Gentille, serviable. Et comme elle est nunuche.
Fernande portait le t-shirt « Nous sommes le courage l’une de l’autre. » Celui que lui avait donné Z.
Le marathon, justement, c’est là qu’elle se rendait. Tous les ans, c’est une foule internationale qui se rencontrait le long des grandes artères de la ville le troisième Lundi d’avril pour courir, ou regarder courir les marathoniens sur 42,195 km. Ce n’est pas qu’elle compte courir, ni marcher sur les mains, Fernande, ni faire du cyclo-pousse.
« Si ce n’est pas moi, qui le fera ? Et si ce n’est pas maintenant, quand ? » Se répètait-elle silencieusement.
Quand Barbara lui racontait ses histoires de bureau le soir, par exemple sur son boss et son café, ou le type qui lui faisait des suggestions pas nettes, elle se retenait fort pour ne pas tout lui balancer, quitte à tout faire rater. Assez récemment, Barbara était rentrée du travail hors d’elle. Le type de l’informatique passe devant mon bureau et me lance « Smile ! puis il reste là à me regarder. Mais de quoi je me mêle ? Pourquoi je lui sourirais, à ce crétin ? Parce que les femmes sont des potiches ? On ne se connait pas, que je sache. Et j’ai même des gros doutes sur ses compétences ! Ça fait des semaines que j’attends un programme qu’il doit me donner. En plus, Barbara avait entendu que le salaire de l’employé était bien trop élevé pour son poste. Et pour que Barbara se mette en colère, il fallait vraiment la pousser. Elle racontait qu’elle était restée bouche-bée un moment puis avait répondu « Et bien, raconte-moi une histoire drôle ! « La réponse n’avait pas plu au responsable informatique, et Barbara s’inquiétait un peu pour son poste, à cause des représailles. Peut-être que son patron en aurait vent. Mais Fernande l’avait félicitée. Elle s’était retenue d’exploser « Ma sœur, tu es une super-vulve toi aussi ! Tu ne te rends pas compte comme tu es victime du patriarcat ? Tu ne vois pas comme ils n’ont aucun respect pour nous, comme ils nous prennent pour des courges ?»
Super-vulve, c’est comme ça qu’elles s’appelaient entre elles sur la plateforme Megalia. Megalia, C’était là que Fernande avait rencontré Z. Plus tard, elles étaient passées à Womad, un espace féministe lesbien radical.
Mais ici, il lui fallait en tout temps garder un sang-froid total. Ne laisser aucun doute, tenir Barbara en dehors de tout, pour la protéger, elle et la petite. Tout s’était bien passé depuis le début. Barbara lui avait donné une clé de la porte de la chambre et n’avait sûrement pas le double. Sinon elle aurait compris tout de suite.
La bombe, elle l’avait confectionnée à partir de poudre noire artisanale et de petits objets servant à déchiqueter (billes d’acier, clous, fragments métalliques.). Elle les avait rassemblés petit à petit dans des quincailleries ici et là. Chez Macy’s elle avait acheté une cocotte-minute d’environ six litres. Elle avait ajouté un minuteur de cuisine. Elle avait ramené tout ça dans son sac à dos sans que Barbara ou Tiffany ne se doute de rien. Elle avait pris connaissance du terrain, tracé son itinéraire du jour J.
Depuis le début, elle avait laissé de faux-indices en rentrant le soir. Des tickets du MFA, des reçus de sandwiches et de clam chowder à Faneuil Hall qu’elle laissait trainer sur la table, les meubles. Elle racontait comme elle avait fait le Duck Tours, comme elle s’est bien amusée. Hahaha. Et les cours d’anglais ? A oui, les cours d’anglais, du tonnerre. Heureusement que Barbara n’avait pas essayé de tester ses progrès. Elle se serait demandé ce à quoi elle passait ses journées.
Le soir, elle fermait sa chambre a clé, allumait son portable et se connectait avec Z. Toute seule, elle ne l’aurait pas fait, Même pas pour faire payer toutes les fois où elle avait entendu la sale chanson de Brassens dans son dos. Ensemble, avec Z sur Zoom, et un tuto sur YouTube elles avaient fabriqué l’engin.
Pendant qu’elles travaillaient, Z lui réexpliquait comme le but était de déstabiliser le patriarcat et que l’idéal était de vivre à distance des hommes, de s’organiser dans la non-mixité. Z, féministe radicale coréenne originaire de Seoul vivait et étudiait actuellement à Boston. La ville américaine avait été déterminée par le groupe que menait Z comme le meilleur endroit pour se faire entendre à l’échelle mondiale. L’Ile-de-France où vivait Fernande était déjà trop souvent ciblée. Fernande avait rencontré Z par internet quelques années auparavant. Un jour de colère envers des étudiants qui l’avaient ostracisée et un prof homme qui n’avait pas pris son travail au sérieux, elle était entrée sur un forum ou sa colère avait été validée et des oreilles sympathisantes l’avaient écoutée. Le temps était passé, mais pas la colère. De Forum en Forum, elle s’était radicalisée, jusqu’à ce qu’elle se lie avec Z. A cause de ses compétences en informatique et de son implication évidente dans la cause, Fernande avait été désignée comme agent d’action. Elle s’était d’ailleurs portée volontaire. Dans sa famille, personne ne connaissait son engagement et le prétexte du stage de langues était passé comme sur des roulettes.
Il est temps que les féministes fassent parler d’elles, lui répétait Z. L’action radicale des femmes est possible et urgente. Dans ses conversations avec Z, Fernande avait observé la capacité des femmes à s’organiser collectivement, l’importance cruciale qu’elles apportaient à la politique, et leur façon et leur devoir de porter leur lutte politique dans la rue. « Il n’y a pas de poire sans poirier » disait encore Z.
Dans le bus qui la conduisait à Boston, elle sentait le poids de la cocotte-minute sur ses genoux. Quand ils disaient que la place des femmes était à la cuisine… Elle avait préparé un sacré ragoût. Un vrai pot-au-feu. Dehors défilaient les commerces poussiéreux qui bordaient Route 1 et qu’elle voyait tous les matins, et le grillage de l’autre coté qui séparait la route. Devant-elle, une femme somnolait, écouteurs aux oreilles. Dans le siège d’à côté, deux jeunes hommes papotaient :
Eh, tu la connais, celle-là : » Comment est-ce qu’on garde une blonde sous la douche toute la journée? On lui donne un shampooing qui dit « laver, rincer, répéter ».
Hahaha ! Très bon. Et celle-là tu la connais :
Pourquoi la blonde a-t-elle été renvoyée de l’usine M&M? Elle jetait tous les «W».
C’était mignon, pensait-elle, pas bien méchant. Mais c’était le début du cancer qui continuait de ronger la population masculine, et même féminine. C’était tout un état d’esprit qu’il fallait changer.
On arrivait dans la ville. Le prochain arrêt la gare des bus de South Station, en plein dans le centre-ville. De là, elle allait prendre le subway pour Boylston Street. Elle connaissait son chemin par coeur.
Dans quelques heures, elle rencontrerait Z pour la première fois. La bombe, elles comptaient la poser à même le sol, près des grilles métalliques séparant la foule des coureurs. Puis elles reprendraient leur chemin respectif, ni vu-ni connu, Z dans la chambre d’étudiante, Fernande chez Barbara. Et puis quelques jours plus tard, la France.
« Sois ambitieuse ! » se répètait-elle. Si tout marchait comme prévu, dans moins d’une heure, on entendrait un bruit étrange et beau.
Fernande
On the bus to Boston Fernande was holding her backpack on her knees. Barbara had dropped her off at the bus station as she had every day for the past two weeks.
Have a nice day! Be careful, avoid the Marathon there will be crowds! They gave each other a peck on the cheek.
How naive she is, Barbara, though Fernande. Kind, helpful.And so simple.
Fernande was wearing the “We are each other’s courage” t-shirt. The one Z. had given him.
The marathon, in fact, was where she was going. Each year an international crowd gathered along the city’s main arteries on the third Monday in April to run, or watch the marathoners run over 42.195 km. She had no plans to run, Fernande, walk on her hands, or ride a pedicab.
“If not me, who will? And if not now, when? She repeated silently to herself.
When Barbara told her her office stories in the evening – for example about her boss and his coffee, or the guy who gave her dirty suggestions, she had to restrain herself not to spill the beans, which would mess everything up.
Fairly recently Barbara came home from work in a fury.
The IT guy walks past my desk and says “Smile!” then he keeps staring at me. Are you kidding me? Why would I smile at him? Because women are here for decoration purposes? We don’t know each other, as far as I am concerned. And I even have big doubts about his skills! I’ve been waiting weeks for a program he has yet to give me.
Besides, Barbara had heard that the employee’s salary was way too high for his position. And for Barbara to get angry, you had to really push her. She said she was speechless for a while and then said, “Tell me a funny story!” “The IT manager was not happy with the response, and Barbara was a little worried for her position, because of retaliation. Maybe the boss would find out. But Fernande congratulated her. She had refrained hard from exclaiming, “Sister, you are a super-vulva too! Don’t you realize that you are a victim of patriarchy? Can’t you see how they have no respect for us, how they think we’re stupid ? “
Super-vulva, that’s what they called each other on the Megalia platform. Megalia was where Fernande met Z. Later they switched to Womad, a radical lesbian feminist space.
But here, she had to keep her composure at all times. Leave no doubt, keep Barbara out of it all, to protect her and the little one. Everything had gone well from the start. Barbara had given her a key to the bedroom door and surely did not have the double.
She had made the bomb from homemade black powder and small objects good for shredding (steel balls, nails, metal fragments.). Little by little she had collected them in hardware stores here and there. At Macy’s she had bought a pressure cooker of about six liters. She had bought a kitchen timer. She had brought all this back in her backpack without Barbara or Tiffany suspecting a thing. She had reconnoitered the terrain, traced her D-day itinerary.
From the beginning, she had left false clues when she came home at night. She had left MFA tickets, receipts for sandwiches and clam chowder at Faneuil Hall lying on the table, the furniture. She told stories of how she had gone on the Duck Tours, how much fun she had had. Hahaha. What about English lessons? Yep, the English lessons, amazing. Luckily Barbara hadn’t tried to test her progress. She would have wondered what she was spending her days on.
In the evening, she locked her room, turned on her cell phone and connected with Z.
On her own, she would not have done it. Not even to make them pay for all the times she had heard Brassens’ dirty song behind her back. Together, with Z. on Zoom, and a tutorial on YouTube they had made the device.
While they worked, Z explained to her how the goal was to destabilize patriarchy and that the ideal was to live at a distance from men, to organize a single-sex community. Z. was a Korean radical feminist from Seoul who currently lived and studied in Boston, which had been determined by the group Z. led as the best place to be heard on a global scale. The Ile-de-France where Fernande lived was already too often targeted.
Fernande had met Z. on the internet a few years earlier. One day of intense anger with students who had ostracized her and a male teacher who did not take her job seriously, she had signed in a forum where her anger had been validated and sympathetic ears had listened to her.
Time had passed, but not the anger. From Forum to Forum, she had become radicalized, until she bonded with Z. Because of her computer skills and her obvious implication in the cause, Fernande had been appointed as agent of action. In truth, she had volunteered. In her family, nobody knew of her commitment and the pretext of the language course had raised no question.
It is time for feminists to be heard, Z told her. Radical action by women is possible and urgent. In her conversations with Z, Fernande had observed the ability of women to organize collectively, the crucial importance they placed in politics, and their way and duty to take their political struggle to the streets. “There is no pear without a pear tree,” said Z.
On the bus that took her to Boston, she felt the weight of the pressure cooker on her lap. They said the place of a women was in the kitchen… She had made a hell of a stew. Outside she watched the dusty shops that lined Route 1 pass by, the same she saw every morning, and the fence on the other side that separated the road. In front of her, a woman dozed, earphones in her ears. In the next seat, two young men were chatting:
Hey, you know that one, “How do you keep a blonde in the shower all day? Give her a shampoo that says “wash, rinse, repeat”.
Hahaha! Very good. How about this one:
Why was the blonde fired from the M&M factory? She was throwing away all the “W’s”.
They thought it was hilarious. It was cute, she thought, not too bad. But it was the onset of a cancer that continued to plague the male population, and even women. It was a whole state of mind that needed to be changed.
They were arriving in the city. Next stop would be South Station, right in the city center. From there she would take the subway to Boylston Street. She knew her way by heart.
In a few hours, she would meet Z. for the first time. They intended to place the bomb right on the ground, near the metal grids separating the crowd from the runners. Then they would resume their respective paths, incognito, Z to her student room, Fernande to Barbara’s. And then a few days later, France.
“Be ambitious! She repeated to herself. If everything went as planned, in less than an hour there would be a strange and beautiful noise.
Comment papa et toi vous êtes-vous rencontrés? Toujours la meilleure question à poser
Je portais une veste en daim C’était au début de l’automne Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans la chambre de Craig Il s’est levé pour me saluer et s’est présenté Et ensuite…
Nous sommes allés dans un café Où des étudiants jouaient de la musique Il a chanté ses chansons sur scène Avec Bruce et Mark et Nathalie Je ne faisais qu’écouter Juste débarquée de France
C’était la nuit dehors après On a traversé le campus Guitare à l’épaule Bottes marron Boucles blondes Blue Jeans
Ton père, je dirais Avait les dents de la chance Les jeans, j’apprendrais, étaient des LEVIS qu’il achetait dans des friperies Sa chambre était spacieuse Avec un vélo dans un coin Et un cadre de lit en métal contre le mur Il allumait des bougies Et de l’encens à la fraise Il portait une chemise couleur fraise Qu’Il avait trouvé dans une friperie Et un petit anneau à l’oreille La fenêtre donnait sur une belle pelouse Dans sa chambre à Watson Hall La lumière était différente Il jouait du Van Morrison Il jouait du Clannad Il jouait des ballades irlandaises A propos d’une île irlandaise et d’un Willy O’Winsbury
Et c’est comme ça que j’ai rencontré votre père.
COFFEE HOUSE
How did you and dad meet? Always the best question to ask
I was wearing a suede jacket It was early fall we first met in Craig’s room He got up to greet me and introduced himself And then…
We went to a Coffeehouse (There was no coffee involved) He sang his songs on stage with Bruce and Mark and Nathalie I just listened Still fresh from France
It was night outside after crossing the campus his guitar Brown boots Blond curls Blue jeans
Your father, I would say Had good luck teeth The jeans, I would learn, were LEVIS’ he bought in thrift stores His room was spacious With a bike in a corner and an upright metal bed frame against the wall He would light up a candle and strawberry-scented incense he wore a strawberry-colored shirt He had found in a thrift store and a small ring in his ear The window looked onto a lawn In his room in Watson Hall the light was different He played Van Morrison He played Clannad He played Irish ballads about some Western Island and a Willy O’Winsbury
And that is how I met your father.
Dans la série de mes souvenirs universitaires, une rencontre importante. J’ai écrit ces poèmes en anglais au départ puis les ai traduits en Français, ce qui donne ce style un peu artificiel parfois. Evoquer ces souvenirs en phrases courtes comme les images des souvenirs reviennent en flash me semblait naturel. Mais d’autres épisodes étaient plus adaptés à une narration en prose. Ca vient, ça vient … !
L’été avant mon départ, sur la plage, j’avais parcouru le catalogue que j’avais reçu par la poste, une liste impressionnante de cours de premier cycle disponibles au collège américain où j’avais été invité, et je m’émerveillais des cours fascinants, inouïs en France:
Théâtre ; Écriture créative ; Danse ; Histoire de la musique ; Poésie
J’avais l’impression d’avoir gagné à la loterie.
Dans l’euphorie de cette offre, j’avais naturellement commencé à choisir sur l’étalage les saveurs que je choisirais. Ma propre éducation française était basée sur une politique pragmatique, la loi de l’offre et de la demande. L’éducation était gratuite, assurée par le gouvernement, et les étudiants étaient dirigés vers ce que nous appelions des débouchés et il n’y avait pas beaucoup de marge de manœuvre en cours de route. L’enseignement était divisé en filières et, bien que ce soit possible, il n’était pas encouragé de changer de voie ou de s’arrêter en route.
À moins de suivre une formation spécifique en théâtre, danse ou musique, il y avait peu de chances de pouvoir accéder à de telles classes. Et pour moi, la notion d’écriture créative était enchanteresse. Les cours de littérature étaient consacrés à l’étude des grands écrivains. Le fait que l’art d’écrire puisse être enseigné à de jeunes étudiants, et encouragé dans une classe était une idée très étrangère.
J’avais commencé à rêver théâtre! costumes, scène, lumières, sans parler des œuvres dans lesquelles nous allions nous immerger!
Bien sûr. J’allais prendre écriture créative. Avec un accompagnement de danse, s’il vous plaît.
Ce serait comme le Club Med, avec plus de culture.
Quelques jours après mon arrivée au collège, l’heure était venue de visiter le bureau du Registrar pour m’inscrire aux cours. Selon le contrat, je devais enseigner quelques classes, travailler dans le laboratoire de langues, organiser la table française, animer un dortoir français (il n’y en avait pas à Kenyon) et suivre trois cours. Très excitée, j’étais entrée et avais proposé mes choix: Théâtre, Écriture créative, Danse.
Whoa, whoa! Calmez-vous! l’homme avait dit. Tous ces cours sont déjà pris. Vous êtes assistante avec une bourse ici, pas étudiante de premier cycle à temps plein.
J’avais oublié que je n’étais pas une vraie étudiante à cette université américaine où l’on étudiait les sciences humaines pour avoir une éducation équilibrée et complète.
Il m’expliqua que ces classes, que j’avais naïvement sélectionnées, avaient toutes été prises par des étudiants légitimes qui avaient choisi leurs majors et leurs mineurs il y a longtemps selon la procédure formelle. Et voyons ce qui restait disponible pour moi…:
Littérature française? Allemand ?
Vous pouvez prendre Littérature américaine au deuxième semestre et Aérobic si vous le souhaitez. La seule autre option est… Natation 101. Un cours pour débutants.
Apprendre à nager? Mais je sais nager!
Ou bien je le pensais. Mais je devais admettre que tout ce que je savais, je l’avais appris avec une bouée à la plage quand j’avais six ans.
Maintenant vraiment déçue, je me demandai lequel de ces cours ennuyeux me rappellerait le moins mes seize dernières années de scolarité française. Je faisais de l’allemand depuis le lycée et j’avais atteint un niveau acceptable, et j’étais depuis longtemps casée dans la « filière littéraire », où j’étudiais l’écriture des autres. J’envisageai l’aérobic (j’avais toujours été fidèle à Veronique et Davina dans mon salon), mais quand on m’avait dit qu’il s’agissait de faire du jogging en groupe sur des pistes de course poussiéreuses, je m’étais rabattue sur la natation, car j’aimais être dans l’eau et cela n’impliquait pas d’écrire des devoirs. J’avais ajouté allemand et littérature française par devoir. Ces sujets ne seraient pas trop difficiles et ne feraient pas concurrence à mes autres responsabilités. En contraste avec les gâteries du début, tout ceci était aussi excitant que petit-pois et carottes dans mon assiette.
C’est ainsi qu’à huit heures du matin, alors que tout le campus dormait, je me retrouvai face au paysage bleu chatoyant de la piscine olympique de Kenyon College. Le premier jour, surprise, j’avais aussi été confrontée au fait que personne d’autre ne s’était inscrit à ce cours pour débutants. Personne à part moi. J’étais seule. Le professeur qui entraînait l’équipe de natation réputée dans des classes avancées était mon entraîneur personnel.
Chaque matin, dans mon maillot de bain athlétique bleu marine, je descendais l’échelle de métal et sentais la fraîcheur de l’eau sur mes orteils, mes genoux, mes cuisses, ma taille, dernier frisson et je m’étirais le long d’un couloir vide.
Au lieu de l’agitation théâtrale, des jeux d’écriture, des exercices à la barre, ou des créations poétiques, j’affrontai l’espace vide et silencieux, le calme méditatif du petit matin, l’étrange intimité forcée avec l’entraîneur. Mais ne vous méprenez pas, il n’y eu pas d’épiphanie. Juste à réfléchir. Oubliées les sucreries du départ, ou même un plat d’accompagnement de pois et de carottes. C’était une grosse et belle carotte, fraîche et crue qu’on me donnait. Une parfaite carotte Zen.
J’ai appris dans cette classe beaucoup plus que j’aurais cru. Bientôt, je traversai la piscine en dos crawlé, en nage indienne, en brasse, en respirant correctement. Ces leçons étaient précieuses et bienvenues. J’étais une équipe de natation à moi toute seule, en compétition avec moi-même, gagnant tout le temps. Mon entraîneur croyait en moi, m’encourageant quand je faisais bien. Et je faisais toujours mieux que ceux qui n’étaient pas là.
Il y avait aussi un étrange plaisir dans ces circonstances qui avaient fait traverser l’océan à cette Française pour qu’elle se retrouve seule dans une piscine olympique.
J’avais été remis à ma place et j’avais reçu le cadeau du silence du grand bain en récompense.
Retour à moi-même
Seule.
SWIMMING 101
The summer before my departure, on the beach, I had been perusing the catalogue I had received in the mail, a dizzying list of undergraduate courses available at the American college I had been invited to, and marveled at the fascinating classes, unheard of in France: Theatre Creative writing; Dance; History of Music; Poetry… I felt I had won the lottery.
Still giddy from this offer, I naturally went on choosing on the candy rack what flavors I would pick. My own French education was based on pragmatic politics, the law of supply and demand. Education was free, provided by the government, and students were channeled towards what we called débouchés (professional outlets) and there was not much wiggle room along the way. Most branches of education were divided in filières (sectors) and though it was possible, it was not encouraged to change paths or to take time off. Unless you were following a specific training in Theatre, Dance, or music, there was little chance you could access such classes. And to me the notion of Creative writing was enchanting. Literature classes were dedicated to the study of the great writers. The fact that the art of writing could be taught to young students and encouraged in a class was a very foreign idea.
I started dreaming of Theatre! the costumes, the stage, the lights, the literate works we were going to immerse ourselves in! Of course. creative writing. And a side-dish of dance, please. It would be like Club med, with more culture.
After a few days following my arrival at the college I was advised to visit the Registrar’s office to sign up for classes. According to the contract, I was expected to teach, work in the language lab, organize the French table, animate a French dorm (there was none where at Kenyon) and take three classes. Very excited, I stepped in office and laid down my choices: Theatre, Creative writing, Dance.
“Whoa, whoa! Hold your horses!” the man said. All those classes are already taken, young miss. You are a Teaching Assistant on a scholarship here, not an undergraduate full-time student. “
I had forgotten that I was not a real student at this American Liberal Arts College, where you studied humanities to become a well-rounded citizen. He explained to me that those classes I had cherry-picked, starry-eyed, belonged to legitimate students who had chosen their majors and minors a long time ago according to the formal procedure. And let’s see what was available for me:
How about French literature? Or what about German (still open)? You could do American literature second semester, and Aerobics if you want. The only other option is… Swimming 101. A beginner’s class.
Learn how to swim? But I know how to swim! or I thought I did. But I had to admit that all I knew I had learned with an floatie at the beach when I was six.
Now really disappointed, I considered which of those boring classes would be the least reminiscent of my sixteen past years of French schooling. I had been taking German since high-school and had reached an acceptable level, and had long been cast in the literary filière, where I had been studying other people’s writing. I considered Aerobics, but when I was told in consisted in group jogging along dusty racetracks, I fell back on Swimming, since I liked being in water and it did not involve writing papers. I added German, and French literature because I had to. The subjects would not be too challenging and therefore would not compete with my other requirements. In contrast with the candy store of the beginning, this was as exciting as peas and carrots on my plate.
This is how at eight in the morning, while the whole campus was asleep, I found myself facing the shimmering blue landscape of the Olympic-size swimming pool of Kenyon College. And on the first day, surprise, I also faced the fact that no-one else has signed for this beginner’s class but me. I was The only student. The professor who trained the award-winning Swim Team in advanced classes became my personal trainer.
Every morning, In my navy-blue athletic swimsuit, I climbed down the metal ladder and felt the cool wetness on my toes, my knees, my thighs, my waist, last shiver and there I was, stretching my length along an empty lane.
Instead of theatrical excitement, playful writing games, leotards and barre exercises, or swoon-worthy poetic creations, I faced the empty silent space, the meditative quiet in the earl morning, the odd forced intimacy with the professional trainer. Yet don’t get me wrong, there was no epiphany. Just sobering down. Forget candy, or even a side dish of peas and carrots. This was a big, fat, beautiful, fresh, raw carrot I was given here. A perfect Zen carrot.
I did learn a lot more than I thought I would. Soon I was crossing the pool in a backstroke, sidestroke, breaststroke, breathing properly. Those lessons were precious and welcome. I was a swim-team all by myself, competing with myself, winning all the time. My coach believed in me, cheering me when I did well. And I always did better than anyone who was not there.
There was also an odd pleasure in the circumstances that made this French girl cross the ocean to find herself alone in an Olympic-side pool.
I had been put back in my place and been given the gift of the silence of swimming as a reward. Back to myself. Alone.
Let’s start the orientation : On the right my desk On the left my bed Welcome to the narrow quarters Of my American college room
Just outside This dorm bathroom Then another door Behind which a vending machine drops cans of Orange Minute Maid with a clang In my wallet, quarters, pennies, nickels and dimes
My bedroom door opens on new sounds Naked Coed Lacrosse!! A team of two girls, charming and playful ask Will you buy a t-shirt from us?
What is coed? What is naked? What is Lacrosse? Then Why coed? Why naked? Why Lacrosse? With the help of practical sign language I try to assimilate new, bizarre images But decline to buy a t-shirt
More sign language and I get a grasp Of what is Halloween on campus! That’s what “Fun-loving” is about
The promotional keychain gift from the Catering services tells me “You’re #1 with us” I am so flattered!
LACROSSE COED NU
Commençons l’orientation : A droite mon bureau A gauche mon lit
Bienvenue dans les quartiers étroits De ma chambre de dortoir américain
Juste au dehors La salle de bain commune Puis une autre porte Derrière laquelle un distributeur automatique Laisse tomber des canettes de Minute Maid à l’orange Dans un clang amorti Dans mon portemonnaie, le cliquetis des quarters, pennies, nickels et dimes
La porte de ma chambre s’ouvre sur de nouveaux sons Naked Coed Lacrosse !! Deux filles en équipe, charmantes et joyeuses demandent Achetez nous un t-shirt !
Qu’est-ce que naked ? Qu’est-ce que coed ? Qu’est-ce que Lacrosse ? Pourquoi Lacrosse ? Pourquoi mixte ? Pourquoi nu ? Avec l’aide d’une langue des gestes J’assimile de nouvelles images bizarres Mais je n’achète pas le t-shirt
Encore un peu de langue des signes et je comprends Ce qu’est Halloween sur le campus ! Et ce que signifie «fun-loving»
Le porte-clé promotionnel cadeau du service de restauration me dit « Vous êtes n ° 1 avec nous » Je suis extrêmement flattée !
* * * *
Les premiers jours sur le campus, tout semblait très étrange. Entre autre ce t-shirt qu’on voulait me vendre. Je n’ai toujours jamais vu de jeu de Lacrosse. Pour ceux qui débarquent sur mon site, je raconte mes aventures universitaires au siècle dernier, circa 1988.
J’avais reçu la lettre de réponse qui m’invitait à passer une année académique aux Etats Unis, dans l’Ohio. Malgré mes études, je ne connaissais rien de l’Ohio, qu’il m’avait fallu chercher sur la carte.
Des étudiants bien renseignés m’avait conseillé : « Il faut aller voir Mme S. Elle peut te donner des informations »
C’est le temps d’avant Google, avant les ordinateurs, avant les téléphones portables. Les curieux trouvaient les informations à la bibliothèque, dans des ouvrages spécialisés, en tous cas en faisant des recherches approfondies.
J’avais pris rendez-vous avec la prof et le jour dit, m’étais rendue dans son bureau. J’avais compris que tous les ans, telle la maman oiseau donne la becquée à ses oisillons, Mme S. invitait les étudiants qui avaient des réponses aux demandes d’inscriptions, à questionner son grand livre des collèges américains. Dans son bureau, dans lequel j’entrai pour la première fois, les murs étaient couverts d’étagères eux-mêmes pleins de livres poussiéreux. Il y faisait sombre, le soleil bloqué par des volets et des rideaux tirés. A mon arrivée, elle s’était levée pour déloger un épais grimoire et l’avait cérémonieusement posé sur son bureau. Puis elle avait enfilé ses lunettes d’un air pénétré, avait consulté la table des matières puis avait feuilleté, comme une cartomancienne son jeu de tarot. Elle était américaine, ce qui expliquait qu’une telle publication soit en sa possession. Elle devait l’avoir rapporté d’outre-Atlantique dans sa valise.
Kenyon College…
J’y suis…
Kenyon College : établissement privé d’arts libéraux situé à Gambier, Ohio. Fondé en 1824 par Philander Chase. Accrédité par la Commission de l’enseignement supérieur. 1 708 étudiants de premier cycle. Campus de 1000 acres situé dans un cadre rural. Utilise un calendrier académique semestriel.
C’est une université mixte. Il y a donc des filles et des garçons.
Cette information délivrée, elle avait levé sur moi des yeux scrutateurs. J’avais compris que c’était le détail que venaient chercher les autres étudiants, mieux renseignés que moi.
Et bien bonne chance ! J’espère que vous passerez une bonne année !
La consultation était terminée, Il n’y avait plus grand-chose à dire. Ce qu’il y avait d’autre à apprendre, je devrai l’apprendre sur le tas. J’avais dû disposer sans plus de cérémonies.
Tout le monde n’avait pas droit à une entrevue spéciale avec Mme S. C’était comme un adoubement. Moi-même, je n’aurais pas dû faire partie du groupe des élèves candidats à l’assistanat. Ces bourses en nombre limité étaient réservées aux étudiants se destinant au professorat. Je n’avais pas, et n’avais jamais eu l’intention d’enseigner. Je me voyais plutôt traductrice, ou bien je ne savais pas quoi – tout sauf le professorat. Cependant, à la fin de l’année, par un coup de chance, une prof m’avait proposé de remplir un dossier de candidature pour devenir assistante de français à l’étranger pendant un an. En Angleterre ou aux Etats Unis. Le programme était précédé d’un stage d’été d’un mois comme prof de Français pour les étudiants Américains. La chance frappait à ma porte. Certains avaient été jaloux. J’avais entendu des mots comme « opportuniste » ou « elle n’a pas les deux pieds dans le même sabot. » Mais l’occasion de visiter le monde se présentait et je n’allais pas la laisser s’échapper. Même si une nouvelle vocation de prof ne m’était pas soudainement venue, je ne voyais aucune objection à enseigner le français pendant un an, quitte à changer subitement d’avis en revenant.
Ce jour-là donc, même un peu déçue du peu d’information, je reprenais le chemin de ma chambre flottant sur un petit nuage parfumé d’œillets, de roses et de capucines, enluminé d’espoir et de rêves.
On avance, on avance dans le feuilleton de mes souvenirs. Bientôt, mais pas tout de suite, on va découvrir ce qui a fait court-circuiter ce destin prévisible dont je parlais récemment.