5 – REVELATIONS

Quelques jours après ma question, je vois un courriel dans ma boite. Mon père m’a envoyé le lien électronique du site web et le mot de passe. Il a donc développé l’arbre généalogique de son père.

Je crève de curiosité. Gabriel va me parler. Par-delà les décennies, et malgré les réticences de mes proches, je vais enfin pouvoir lever le voile. Y-a-t ’il mystère, d’ailleurs, secrets bien gardés, ou bien le seul fait que la vie, le temps et l’espace m’aient éloigné de ces connaissances ?

J’épelle et clique sur le nom de mon grand-père. Une ribambelle de silhouettes en gris se déroule sous mes yeux sur la page web. Toute une brochette d’individus, une lignée de frères et sœurs. Je comprends non seulement que Gabriel n’était pas fils unique, mais qu’il vient accompagné d’une flopée de parents dont j’ignorais l’existence.

Je n’ai que le temps d’apercevoir ces ombres, comme derrière une porte ouverte, pas le temps de détailler – mon chat miaule qu’il est l’heure de manger. Le présent appelle. J’avale un œuf dur, une pomme. Je croque deux cookies tirés du freezer.
C’est avec fébrilité que je reviens au dossier.

Tout au bout, à droite, la dernière petite silhouette, dernière petite découpe de la guirlande, dernière quille dans la rangée, se trouve Gabriel, mon grand-père. C’est le petit dernier de la famille, le numéro dix.
Le premier sur la branche est un certain Albert, dont je n’ai jamais entendu parler. Puis un Yves, une Ambroisine, puis viennent Louis, Eugène et Louise. Louis, je l’ai connu pour l’avoir rencontré plusieurs fois, lui et sa femme. C’est le seul parent du côté de mon père qui me soit familier.

En regardant les dates je vois que la seconde silhouette, Yves, est mort à 8 ans, qu’Eugène a dû mourir juste après son baptême, et que de toute l’enfilade, la dernière perle du collier est le seul qui aura des enfants.

Le reste de la branche s’est éteinte.
Dans la glace, je vois l’os de ma clavicule en collier, les traits de mon visage. Qu’est-ce qui ressemble à cet ancêtre dont je n’ai jamais vu une seule photo ?
J’essaie de me faire un portrait-robot : selon mes calculs, Gabriel n’est pas de très haute taille. C’est un breton après tout. Je découvre sur une autre page un portrait de son grand-frère Albert, mort à 32 ans. J’ai du mal à y croire. Dans un costume de marin, l’air crâne, un jeune homme pose pour un flash des années vingt, regardant devant lui sans ciller. En cherchant bien, je pourrais y retrouver les traits fins de mon père, un air vif et décidé. Dans le portrait que je me constitue, j’ajoute que Gabriel est Bélier… donc logiquement (et d’après mes recherches) on décèle dans son regard la force du tempérament… ses yeux sont vifs, curieux, en éveil. C’est un visage franc où se lit la sincérité.
Je vois se dessiner une silhouette athlétique et tonique, avec une posture sur le qui-vive, prête à réagir à la moindre alerte… les bras gesticulent, le pied gigote, difficile de rester en place, encore moins de glace face aux évènements. Une démarche assurée, propice à créer la confiance dès le premier échange…

J’ai peut-être tout faux. Mais en étudiant les dates, je vois qu’il est né en 1908 et mort à cinquante-six ans.
Quelle étrange coïncidence – J’ai justement cinquante-six ans.

A suivre…

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