ACTE VIII – L’AVENTURE BAT SON PLEIN

En septembre 1939, toujours rien sur la chronologie de mon grand-père, mais la date évoque quelque chose. Toutes les chronologies des Français de cette génération portent les mêmes évènements marquants.
Cette génération qui a vécu la première guerre mondiale, la grippe espagnole, puis une crise économique qui monte, va maintenant se coltiner une deuxième guerre mondiale. Comme s’ils en avaient besoin.

Nous avions laissé Gabriel, à peine sorti de l’adolescence, sur les chantiers de construction à réparer les dégâts de la première guerre. Lui-même aurait eu à réparer une enfance rude – de nos jours on lui aurait assigné une bon(ne) thérapeute (quid de la mort de ses parents, de ses frères et sœurs, la grippe espagnole, la guerre). mais on est bien loin, à l’époque, des préoccupations de bien-être psychologiques actuelles. Et puis tout le monde était dans le même sac.

Donc si on avait cru à un répit pour le petit gars, il ne dure pas longtemps. A la fleur de l’âge, juste 32 ans, Gabriel est recruté par l’armée, pour la seconde guerre mondiale.

S’ensuivent huit mois de “drôle de guerre”, une période sans combat. A partir du 10 mai 1940, avec une “guerre-éclair”, les forces allemandes s’emparent de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas, puis s’attaquent à la France.

Comme il n’a pas froid aux yeux et qu’il est courageux, comme on l’a vu, le jeune breton se sent peut-être dans son élément. L’armée, il connait : la marine avec son frère Albert (au vu d’une photo en costume avec béret marqué à l’insigne certaine), puis les bateaux de pêche.
Mais il se retrouve dans l’armée de terre.

Selon mes sources aussi sures que secrètes, cinq millions d’hommes sont mobilisés, dont la moitié seulement est combattante : 2 274 000 hommes aux armées, 2 224 000 hommes à l’intérieur, dont 700 000 servent de main-d’œuvre à l’industrie (affectés spéciaux), 300 000 restent à l’instruction, 250 000 restent chez eux pour les besoins de l’agriculture, 650 000 sont affectés aux services et 150 000 à des postes divers. La mobilisation se passera sans heurts ; les hommes sont plutôt résignés ; il n’y aura que 3 700 réfractaires. Au cours de la période suivante, la drôle de guerre, les désertions sont restées peu nombreuses.

Mais, rebondissement inattendu, les combats à peine commencés, Gabriel est fait prisonnier.

Comment est-ce possible ? La légende est qu’avec un camarade, ils se servaient d’une mitrailleuse sensée bloquer une route par laquelle les avant-gardes allemandes devaient passer. Mais coup du sort, cette mitrailleuse Hotchkiss s’enraye après quelques tirs.

Pourquoi ? les munitions n’étaient pas compatibles.

Où? dans l’Yonne. Pour situer, Auxerre est la plus grande ville de l’Yonne, à deux heures de route au sud-est de Paris.

Avec de nombreux autres prisonniers de guerre, Gabriel est affecté à une ferme en Haute Silésie, une région historique située principalement où se trouve actuellement la Pologne, avec des bouts en Tchécoslovaquie.

Dans ces camps, la majorité des prisonniers étaient utilisés comme main-d’œuvre dans des Arbeitskommandos qui alimentaient comme travailleurs gratuits la région silésienne, ils étaient employés notamment dans l’agriculture et dans les mines.

Mais Gabriel n’allait pas en rester là.

En 1941, il s’évade, tout simplement.

Comment fait-on pour s’évader ? Était-il seul ? accompagné ? A-t-il creusé un tunnel ? Sauté un mur de barbelés ? De toutes les manières, il a dû faire preuve de courage, d’ingéniosité, d’espoir, de ténacité.  Les détails de cette évasion sont évaporés à jamais.
Sur un site, je lis des histoires. Dans une d’elle, les « fermiers » sont assez libres pour se procurer des cartes des environs. Quand on arrive à se faufiler au dehors, il faut survivre au retour, à la marche, sans argent, sans nourriture, dans la peur d’être retrouvé et puni. Une vie de parano sans la maladie psychologique.

Pour récapituler, au risque de me répéter, après son enfance difficile, la vie sur les bateaux, la mort qui frappe la famille au hasard, avec insistance, Gabriel n’a fait que vivre toujours entre la vie et la mort. Il n’a jamais vécu la paix. La lutte n’est jamais finie.

Comment sort-on de cette vie de combat-fuite permanent, cette vie sans famille, sans maison, sans repos, sans paix, sans fortune ni espérance de fortune.
A cette époque, pendant ce temps, d’autres hommes ont fait des études, se sont tenus à l’écart des champs de bataille, ont vécu dans le confort physique, en compagnie de leurs familles, ou parmi les leurs. Ils ont lutté pour leurs espoirs, mais dans une sécurité plus ou moins stable.
Gabriel, lui ne connait pas le repos.

Pendant ce temps, sa sœur Ambroisine et son frère Louis, vivent des vies plus posées dans la région parisienne.

Et c’est justement chez Ambroisine, sa sœur, que mon grand-père va se réfugier et se cacher, au terme d’un long périple à travers l’Allemagne puis la France. Les détails manquent. Comment a-t-il trouvé son adresse ? Combien de temps ce voyage lui a-t-il pris ? dans quelles conditions a-t-il pu se cacher des soldats ?

D’ailleurs ce n’est que des « on dit » cette histoire qu’il se cachait chez sa sœur Ambroisine. Les vraies informations ont à jamais disparu.

En 1942, la guerre bat son plein. Gabriel a maintenant 34 ans.

Illustration : Liste officielle … des prisonniers de guerre français : d’après les renseignements fournis par l’autorité militaire allemande : nom, date et lieu de naissance, unité / Centre national d’information sur les prisonniers de guerre – BnF

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