LE PISSENLIT QUI VOULAIT SE FAIRE AUSSI BELLE QUE LA ROSE

Pissenlette voyait tourner les aiguilles de son horloge, et se disait chaque jour qu’il fallait qu’elle remette les pendules à l’heure.

Dans le champ autour d’elle, elle voyait bien les dégâts du temps qui passe sur les autres pissenlits, boutons d’or et autres humbles fleurs sauvages. Au début, elles se dressaient, corolles toutes fraiches, le teint radieux. Et puis ça commençait à perdre son lustre, à se recroqueviller. Elle, Pissenlette, n’allait pas passer par là.

Elle n’était pas laide, Pissenlette, mais pendant ses petites virées en ville, de la fenêtre du bus, elle avait repéré un fleuriste, chez lequel elle avait aperçu des arums, des iris, des gladolia… l Et puis surtout, des roses.

Elle considérait sa tige maigrelette, ses feuilles dentelées maigrichonnes, ses pétales tout étriqués, et puis cette couleur criarde…

Et ça n’allait pas s’arranger.

Une bonne amie aurait pu lui dire qu’au contraire, elle devrait être fière de ses pétales dorés, de son gros cœur odorant. Qu’elle était bien assez belle comme ça. Elle aurait appris qu’en anglais, on ne parlait pas de pisse-en-lit, mais de dandelion : dent de lion, vous vous rendez-compte ! Elle aurait dû rugir de fierté.

Malheureusement, personne n’était là pour le lui dire. La boutique qui suivait celle du floriste se trouvait être, par un étrange hasard, un cabinet d’Esthétique qui offrait des traitements « à la pointe de la technologie » selon les affiches.

Pissenlette, qui n’était plus dans la fleur de l’âge, avait justement, eu le temps d’économiser un petit pécule. Ces soins de rajeunissement n’étaient pas à la portée de toutes les bourses.

Elle avait regardé les photos avant-après : des giroflées un peu chiffonnées et grincheuses, qui sur la seconde image redressaient hardiment leurs corolles en souriant. On les voyait de face, de profile, de dessus, de dessous.

Elle prit rendez-vous. La femme en blouse blanche avait l’aspect rassurant d’un docteur.

Je voudrais ressembler à une jeune rose, lui expliqua Pissenlette. Tant qu’à rajeunir, pourquoi pas faire encore mieux ?

Une rose ? Mais bien sûr… je vous propose une élongation des pétales ici… une série d’injections de tsoin-tsoin là, pour retendre les tissus (il s’agit d’un produit puisé dans la sève d’un arbre noueux et secret) ; un soin de coloration permanent en rose … c’est bien une rose rose que vous aimeriez être, n’est-ce pas ?

Oh oui ! Une rose rose comme celle du Petit prince ! 

Pissenlette s’était répété si souvent ce passage qu’elle le connaissait par cœur :

Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit en bâillant :
– Ah! Je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je suis encore toute décoiffée…
Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration :
– Que vous êtes belle !

La femme en blouse la mettait en confiance, la flattait : Vous avez une bonne ossature, pour commencer, Madame. Tout le monde ne peut pas en dire autant.
Et le rendez-vous fut pris.

Pour le jour J, Pissenlette prépara sa valise, qu’elle remplit pour la majeure partie de billets de banque ainsi que quelques vêtements de rechange, et son réveille-matin.

Quelques temps plus tard, elle revint, tuméfiée, le visage enrubanné de bandes blanches. On ne voyait que ses yeux.

Puis au bout de quelques jours, elle se découvrit. Dans le champ, les chardons, le chiendent et les autres fleurs sauvages avaient du mal à détourner les yeux, Psst, tu as vu Pissenlette ?

Pissen-laide, Pissen-laide ! pouffaient les vipérines dans son dos ; les petites fleurs d’églantine, polies, faisaient semblent de regarder ailleurs.

Les pâquerettes, elles, se balançaient dans la brise, non concernées.

De tous côtés cependant, on entendait une rumeur, comme une brise dans le champ: Grotesque ! une caricature de rose ! une sorte de Picasso vivant !

Pétales rosâtres distendus, difformes, lisses et brillants, elle n’était ni pissenlit ni rose, mais une manière de Pissenrose, Rose-en-lit à la Frankenstein

De toute évidence, ce que les autres fleurs voyaient, ce n’était pas une beauté, mais une fleur mal dans sa peau, qui avait préféré un bizarre artifice à sa propre beauté à peine fanée. Elle affichait surtout sa vanité maladive, et une crédulité, une naïveté – disons-le franchement, une stupidité – qui l’avaient envoyée droit dans les filets des vendeurs de rêves.  Elle portait maintenant un masque de clown qu’elle ne pouvait plus enlever, mais qu’elle essayait de se justifier péniblement à elle-même.

Ses pendules, son réveille-matin s’étaient détraqués ; elle vivait désormais suspendue dans un malaise sans âge.

Au dehors, le temps passait. Et un beau jour, Pissenlette s’aperçut que les autres pissenlits subissaient une drôle de transformation. Leur capitule se refermait sur lui-même comme pour s’enfermer dans un cocon vert.
Malgré ses tissus déformés, Pissenlette senti ses propres feuilles vertes se redresser et se mettre à l’envelopper tout entière. Le mouvement était irrépressible, aucun moyen d’y échapper. Ça alors ! v’là-t ’y pas…  elle n’avait pas fini sa pensée que la parole lui fut coupée. Elle capitula.

Longtemps, elle resta enfermée dans un cloitre, retraite salutaire puisqu’elle n’avait plus à se voir dans la glace ni dans le regard des autres. Longtemps, longtemps, elle se senti en paix.

Jusqu’au jour où, telle la chrysalide du papillon, l’enveloppe verte s’ouvrit et dévoila à Pissenlette sa nouvelle apparence.

Surprise ! Elle avait maintenant une grosse touffe de cheveux blancs. Tous les autres pissenlits semblaient sortir de chez le même coiffeur avec cette tignasse blanc-platine mousseuse, qui faisait tout-de-même genre, il fallait le reconnaitre. Mais ce ne l’intéressait plus, Pissenlette, ces histoires de coiffures, d’apparences. Elle s’en fichait. Ce qu’elle sentait, c’était une forme de sagesse qui s’était formée en graines dans sa tête.

Un jour, une petite fille passait par là. Elle cueilli Pissenlette par la tige et souffla sur sa tête de sa petite bouche ronde en faisant un souhait.  

Pissenlette senti ses graines de sagesse se disperser aux quatre vents, et perdit connaissance, mais avec reconnaissance, juste après avoir pensé que c’était bien comme ça, après tout.

 *  *  *


Cette fable a été composée pour l’Agenda Ironique de Mars, qui se cultive ce mois-ci chez Isabelle-Marie d’Angèle . Il fallait :

J’ajoute un lien magique :

LES CAROTTES

LES CAROTTES

Lundi, je devais écrire un poème sur les carottes
Comme je n’avais chez moi ni sujet ni carottes
Je ne pouvais simplement pas les couper en dés
Les carottes et les poèmes vous font-ils peur ?

Mardi – j’ai trouvé une ancienne carotte
Qui chantait la complainte des légumes
Oubliés dans le fond du frigo
J’ai délivré la sorcière, triste, grise et poilue.

Mercredi, j’ai versé dans ma tasse un nuage
De lait (je lisais un roman anglais.)
Quel tapage dans ma tête ! Des carottes ! Des carottes !
De carottes toujours point. Choux de Bruxelles on a.

Jeudi – j’ai fait un mirepoix. Ajouté du bouillon
De vibrantes carottes de jardin, une patate douce
Une pomme de terre dorée, et encore des carottes,
Les crucifères en fleur, et étrangers. Pas de dindon.

Vendredi – j’ai ajouté des petit-pois, quelques lentilles,
De l’origan.  J’ai réchauffé le tout. J’ai attendu
L’inspiration n’est pas venue. Les carottes sont cuites !
Pourquoi pensez-vous que les poèmes sont faciles ?

Samedi – j’ai réchauffé à nouveau la soupe.
J’en mangerais tous les jours ! Mais où est le poème ?
Quel tapage dans ma tête. J’ai cherché un bouquin –
De rimes, de vers, de cantiques, d’incantations j’ai saupoudré

Dimanche – les mots et les idées étaient bien absorbés,
Dans les légumes fondus, relevés d’ail, d’oignon et d‘origan.
Dans le bouillon sans dindon, tous les morceaux de la même taille.
J’y ai cherché avec ma louche, une structure à déclamer.

« C’est bien goûteux ! »  « j’en reprendrais ! »
Y’a les carottes – mais toujours pas de poème.


Bonus:

Louanges pour Les carottes :

« Maintenant, tu me fais me demander si les pommes de terre sont colorées ! »

– Enid Kibbler

“‘Carottes’ est un sujet trop négligé dans la poésie moderne. Je suis tellement content que Victor Hugotte ait choisi de s’y attaquer.”

– Zob Gloop

“J’adore les poèmes qui prient le lecteur d’apporter quelque chose sur la table. Victor Hugotte a apporté des carottes et j’ai apporté des chatons. Cela a fait une lecture assez étrange, en toute honnêteté.”

– Le conte quotidien


Ceci est ma proposition pour l’Agenda ironique de février selon les consignes de Carnets Paresseux qui voulait des légumes, des jours de la semaine, quatre mots imposés (nuage, tapage, dindon, bouillon) et une image à colorier d’Elena Pavlona Guertick.

llustration : Elena Pavlona Guertick,  Images à colorier : des légumes, Flammarion, 1935 Gallica/BnF

LE CRABE N’A JAMAIS EU BONNE REPUTATION

Pendant que mon ancêtre est en train de chevaucher les terribles vagues du grand large dans sa goélette, direction les morues d’Islande, l’Agenda Ironique me ramène plus près des côtes, avec un casier :

LE CRABE N’A JAMAIS EU BONNE REPUTATION

Le crabe n’a jamais eu bonne réputation
Sur un charmant plateau de Frutti di mare
Dressons ici une liste de ses accusations :

Vert olive, le touriste après dégustation,
Son voyage fini, est loin de se marrer
Le crabe n’a jamais eu bonne réputation

Le gamin aux pieds nus – ouille ! à l’auscultation
S’est fait pincer les doigts de pied dans la marée
Par un crustacé cru visant l’amputation

L’infâme et triste nom d’une grave situation
Le cancer. pour toujours est au crabe amarré
le crabe n’a jamais eu bonne réputation

Le crabby des british, adroite locution
Bien loin des bords de mer aux couleurs chamarrées
Décrit mauvaise humeur ainsi qu’irritation

Malgré cette pinçante et sombre évaluation
Il y a pires menaces, tel le raz-de-marée.
Le crabe n’a jamais eu bonne réputation –
De l’une de leurs pinces j’envisage l’ablation.


Tout ça, c’est la faute à TiniakPour l’agenda ironique de janvier ; il voulait au moins trois mots ou expressions de la liste suivante : Tutti frutti, frutti di mare, marée, dentier,  crabe, crabouille, ouille la la ! amen, aménité, ite missa est. J’ai fait de mon mieux.
Pour ceux que ça intéresse, j’ai utilisé une forme de villanelle, pour la structure, mais passée par les US. Mon inspiration : Elizabeth Bishop, One Art.

L’OMBRE AU TABLEAU

Pour l’Agenda Ironique de Novembre (détails en bas !)

« Alex ! Je crois qu’on est sur un gros coup ! Un gamin a trouvé une toile dans un marché aux puces. Il demande s’il a de la valeur ! regarde ! »

Le collègue jeta un coup d’œil sur le rouleau de toile peinte que lui présentait son binôme. Les deux se regardèrent.

Tu crois que c’est ? …
J’en mettrais ma main au feu !  Regarde, là, la façon dont l’os est dessiné…, la musculature de l’animal ! Ça ne fait pas l’ombre d’un doute ! c’est un Rosa Bonheur ! »

Pffshaww ! Tito en cracha presque son Coca. Tu parles d’un coup ! Il va falloir le faire authentifier !

En effet, le tableau donnait tous les signes d’être une œuvre oubliée, cachée probablement, de la grande peintre Rosa Bonheur dont l’œuvre avait connu une certaine notoriété tout au long des années 1800, surtout dans les pays anglo-saxons. Elle se spécialisait dans les portraits animaliers.

Seulement, il y avait une ombre au tableau. La toile qu’ils tenaient entre leurs mains n’était pas complète. Comme beaucoup d’œuvres d’art au cours de l’histoire, elle avait été morcelée pour une raison ou pour une autre, probablement pour être vendue par petits morceaux et faire plus de profits au vendeur.

Dans ce cas précis, si la toile portait toutes les caractéristiques d’un Rosa Bonheur, il y manquait la signature, ainsi que la partie gauche. On voyait clairement qu’un personnage ou un objet avait été coupé. Les vaches reposaient dans l’ombre de l’arbre et du sujet manquant.

Mais qui, et pourquoi, cette toile avait-t-elle été abimée ? se demandaient les deux vendeurs.
Ils avaient acheté la toile au jeune garçon pour une bouchée de pain en lui racontant des bobards. Une toile de Rosa Bonheur pouvait les rendre riche.

Une de leurs amies avait accepté d’ausculter l’objet. C’était une scientifique dont la spécialité était d’analyser les toiles anciennes pour voir s’il s’y cachait des versions précédentes, des couches disparues sous la version finale, invisibles à l’œil nu mais pas aux rayons lasers et autres, qui révèleraient des pans d’histoires ou des détails de la vie d’un illustre peintre, qui révolutionneraient l’histoire de l’art. Elle avait, entre autres, analysé la Joconde. Sans rien y trouver, d’ailleurs.

De la toile aux vaches, elle avait confirmé qu’il s’agissait bien d’une peinture de l’époque de Rosa Bonheur, mais ne pouvait pas estimer la taille originale de la scène, ni ce qui se trouvait sur la partie manquante. Ils avaient insisté : Oui, mais l’ombre, as-tu bien analysé l’ombre ? Est-ce que c’est vraiment une ombre, ou est-ce que c’est le vernis qui a viré au gris avec le temps ? Ça changerait tout !

L’ombre ? non, justement. Ce sont bel et bien des pigments ombrifères. La légendaire ombre au tableau !
Perplexes, ils se demandaient comment trouver l’autre morceau. Celui qui, complétant le tout, les rendrait riches, et même peut-être célèbres.
L’enquête qu’ils menaient pendant leur temps libre les conduisit près de Fontainebleau dans la dernière demeure de Rosa Bonheur.

Ils avaient caché le véritable motif de leur visite. La propriétaire du château, croyant qu’elle avait affaire à des admirateurs de l’ancienne propriétaire les laissa examiner le grenier pendant qu’elle faisait visiter le reste du château à des cars de touristes.

Le grenier, ainsi que le reste de la maison, n’avait pas été touché depuis la mort de l’artiste. Celle qui avait vécu toute sa vie dans cette demeure en compagnie de son amie Nathalie Micas, puis de l’américaine Anna Klumpke avait amassé tout un passé en forme d’objets, ce qui faisait du grenier une caverne d’Ali Baba.

Je crois que je l’ai !  Bob tenait dans sa main un rouleau encerclé d’un ruban, qu’il avait péché dans un seau plein de décorations saisonnières, boules de sapin et autres.
Ils en déroulèrent une partie, et notèrent que la couleur correspondait à celle de leur toile, comme un morceau de puzzle un autre. Le même genre de vert foncé qui rend les puzzles difficiles.

Filons, on n’a pas le temps de regarder. Il faut se faire la malle avant qu’elle se doute de quelque chose.

La propriétaire, par bonheur, n’y avait vu que du feu. Elle les salua rapidement alors qu’ils partaient apparemment les mains vides, pendant qu’elle montrait à un groupe de curieux l’armoire où la célèbre artiste avait gardé ses vêtements, ses robes et ses vestes aux riches passementeries.

Dans leur atelier, à l’abris des regards, les deux complices avaient rapproché les deux morceaux. Dans quelques instants, ils allaient savoir ce qui se cachait dans ce rouleau.

Sous la lampe, ils déroulèrent par le bas le morceau de toile, qui ne mesurait qu’un tiers du reste. D’abord, ils virent apparaitre des souliers, genre bottines, puis des robes de femmes à la mode du dernier siècle. Deux robes. Une jaune, et une bleue. Mais alors qu’ils déroulaient plus haut, il se regardèrent, ébahis.

De leurs mains, ils lissaient une toile où se dessinaient deux silhouettes de jeunes femmes avec des têtes, non pas de fille ni de femme, ni même d’humains, ni d’animaux, mais de fleurs. Des fleurs tout à fait reconnaissables. Une jonquille pour la robe bleue, et un coquelicot pour la robe jaune. Les fleurs étaient proportionnées aux robes pour donner une impression très naturelle de têtes et de visages.

Ça alors ! Mais ce sont des jeunes filles en fleur !  On a découvert l’Ombre des Jeunes filles en fleur ! 

Ma parole ! mais tu as raison ! J’ai du mal à y croire !

Ils firent des calculs rapides. Rosa Bonheur était morte en 1899, et Marcel Proust avait publié son fameux roman en 1918. Il n’y avait qu’une explication possible. L’écrivain avait dû rendre visite à l’artiste, chez qui il avait vu cette toile, avant qu’elle-même ne détruise l’œuvre dont elle s’était rendu compte du ridicule. La partie aux vaches, elle, était vendable.

Cependant, la toile entière, fantasque, et même fantastique, avait tant fait impression sur l’écrivain qui s’en était inspiré pour le titre de son chef-d’œuvre littéraire.

Il était temps de sortir de l’ombre et de se faire connaitre du monde de l’art. Pour mieux vendre leur histoire, ils avaient préparé leur phrase d’introductions aux spécialistes :

” Je ne m’attends pas à ce que vous croyiez cette histoire. Est-ce que j’y crois, moi ? “

 *  *  *

Ce mois-ci, Il fallait parler d’ombre et puis glisser ces deux phrases : ” Je ne m’attends pas à ce que vous croyiez cette histoire. Est-ce que j’y crois, moi ? “

Tout est bien esspliqué ici :

Illustration : détail de l’œuvre citée ci-dessous.

Original : Rosa Bonheur, Une bergère avec une chèvre et deux vaches dans un pré (circa 1842-1845)– The Dahesh Museum of Art, NY

Entretien avec Onion Braisé : le chef le plus prometteur de l’année

Photo by Kampus Production on Pexels.com

Onion Braisé, le nouveau chef qui a conquis les critiques du monde entier, et mérité l’appréciation de ses clients, a accepté de nous donner une interview exclusive avant l’ouverture de son premier restaurant à Washington, DC : l’Epluche-légumes,

par VictorHugotte (correspondante AI aux Etats Unis)

Votre restaurant s’appelle l’Epluche-légumes. Sont-ce vos épluchures personnelles que vous souhaitez mettre sur les assiettes de vos clients, ou bien voulez-vous parler des épluchures qui se trouveront dans les poubelles après la visite de votre restaurant ?

Les deux, je pense. Je crois chaque personne a des goûts différents, appris dans son enfance. Je suis convaincu que les épluchures sont à la base de tout système gustatif, et ce, bien avant la naissance, en fait.

Pourquoi votre cuisine est-elle capable d’attirer des gens du monde entier, juste pour manger dans votre restaurant ?

Parce que ma cuisine est vraie, comme moi. Elle est honnête et authentique, très minimaliste. Dans l’assiette, vous trouverez quelques filaments de peau de carotte, quelques yeux de pomme de terre, une queue de courgette. C’est profond dans l’utilisation des produits, on va les rechercher très loin, dans les poubelles, dans les bacs à compost. Nous travaillons avec la nature, c’est très vivant, ça grouille. Dans la technique et dans les saveurs c’est plus processionnel, mais ça a une histoire et ça a quelque chose à communiquer.

Avec le changement de la sphère de la restauration, la figure du chef devient plus influente. Vous sentez-vous responsable ?

Plus responsable que jamais. Je pense qu’il faut utiliser à bon escient les facettes des produits qui ne sont normalement pas considérées ; comme les moutures de café par exemple, les peaux de banane dont on se débarrasse. Je ne comprends pas que les gens ne s’en servent pas pour contribuer à un monde meilleur.

Les jeunes chefs ont-ils pour mission de reconstruire la sphère de la gastronomie ?

C’est nécessaire, et c’est notre mission. J’essaie d’être un modèle. Je ne suis pas parfait, mais je voudrais montrer qu’il est possible de changer l’industrie. Je ne considère pas la reconnaissance des guides comme mon objectif principal.

Avez-vous des réflexions ou des questions qui vous viennent à l’esprit?

Quel est le nouveau luxe ? S’agit-il de homards et de foie gras ? Non. Le luxe est autour de nous et il est temps de le découvrir et de profiter de vos expériences. A l’Epluche-Légumes, nous essayons de créer une énergie particulière. Nous ne voulons pas cacher quelque chose, au contraire, nous voulons que vous soyez au centre de notre monde et que vous le viviez pleinement, en vous amusant. Le client pourra ainsi jouer avec les coquilles d’escargot, les tranches de pain rassis, le gras de jambon, les os de lapin.

Ne pensez-vous pas qu’être honnête et vrai est aussi un nouveau luxe ?
Oui, tout à fait. Plus je cuisine, moins il en reste dans mon assiette, car je crois que c’est aussi une forme d’honnêteté : plus on en met dans l’assiette, moins il reste de vérité et plus il y a de confusion chez le client.

Pour conclure sur une note poétique : y a t’il des souvenirs inoubliables qu’Onion Braisé garde dans son cœur ?

Oui… voyons… il y a par exemple le jour où, enfant, descendant dans la salle à manger d’un B&B en Angleterre, j’ai découvert dans l’assiette une multitude de petites choses jaunes et sèches, un peu comme des croûtes de peau. L’hôtesse m’avait montré comment verser du lait froid au fond pour les faire baigner dedans. Il s’agissait de porter à sa bouche sans les faire tomber des cuillérées de ces paillettes dures nageant dans le liquide blanc. Je me souviens de la texture cartonneuse selon le degré de saturation, et le goût nouveau et étrange de ce qu’ils appelaient Corn Flakes. J’ai souvent essayé de recréer cette expérience unique avec des produits recyclés – chips de pomme de terre égarés, restes de gratins desséchés…

… et les moments où vous finissez le travail au restaurant en vous rattrapant avec la pensée : “Wow, aujourd’hui nous avons fait quelque chose de grand pour le monde”.


Cet interview inquiétant m’a été inspiré specialement pour l’Agenda Ironique de septembre, organisé par Mijo, funambule sur le fil de l’écriture ! Elle nous proposait un texte assaisonné de vocabulaire et d’expressions culinaires et de raconter une première fois.

Trip to Mars

J’avais encore les doigts tout poisseux de barbapapa quand je suis arrivé à la cabane qui proposait un voyage à Mars. C’était très simple. Une cabane avec une porte d’entrée, et une porte de sortie. Et le type derrière le panneau avait l’air sérieux. Pas du tout flashy. Il portait une veste sombre et un chapeau noir. Il me faisait un peu penser à Charlot, mais avec l’air moins triste. La seule décoration sur le mur derrière lui était la peinture d’une jeune femme style années trente, qui chevauchait un croissant de lune, lune qui n’avait pas l’air de rigoler non plus. Ce qu’il y avait, caché derrière ce mur m’intriguait, forcément.
Je me suis dit qu’ils auraient pu mettre des illustrations de Mars, plutôt que la lune, mais peut-être que c’était moins joli. Et puis il y avait les étoiles sur les rideaux, qui unifiaient un peu le tout. Alors j’ai fouillé dans mon portemonnaie et je lui ai donné les 10 cents.

Sans sourire, il m’a fait monter les marches et j’ai poussé le rideau comme dans une cabine d’essayage. C’était sombre à l’intérieur. J’ai vu une chaise en bois toute simple aussi, sur le plancher en bois. Il m’a fait asseoir et a tiré un foulard de sa poche. Je me suis dit qu’il ne voulait pas que je voie son système. Je n’ai rien dit. Qu’est-ce que j’aurais pu dire ? Donc il l’a noué, derrière ma tête, et c’est là que j’ai senti quelque chose contre mon nez et que je me suis retrouvée sur un chemin. C’était un chemin de terre, bordé d’une barrière en bois. De l’autre côté, des arbres, des feuillages, c’était tout vert, comme en été. Je marchais le long de la barrière, et au loin comme illuminé par un rayon de soleil l’entrée d’un autre chemin. La bouche de cette entrée me fascinait. Je me disais que c’était peut-être la porte du paradis tellement ça brillait, mais quand j’y suis arrivé j’ai vu que c’était comme la piste cyclable de la petite ville où j’habite. J’étais épaté. Donc j’ai continué à marcher et j’entendais des oiseaux, et ça sentait le désinfectant pour les fossés. Et rien de spécial, sauf quand j’ai vu un banc sur la gauche. Je me suis dit que c’était un bon endroit pour s’asseoir un peu. Ça ressemblait tellement au chemin de bicyclette où je me baladais régulièrement que j’ai voulu me pincer pour savoir si je ne rêvais pas. Mais c’était comme quand on essaie d’ouvrir les yeux quand on rêve, je n’y arrivais pas. Mais c’est là que je les ai vus. Comme vous et moi. Et que j’ai complétement oublié l’opération pincette, Ils étaient trois ou quatre, le chiffon à la main. Des petits hommes verts. Et ils étaient en train d’astiquer ce que j’ai tout de suite reconnu comme étant une soucoupe volante. J’en avais vu dans les films. Ça n’avait rien d’une soucoupe d’ailleurs. Plutôt la forme de deux soucoupes l’une sur l’autre, celle du dessus à l’envers. Et plein de fenêtres entre les deux. Une sorte de grosse pilule creuse. C’était blanc et brillant, et ils astiquaient. Et que je te frotte un hublot, et que je t’astique une patte. Parce qu’il y avait comme des pattes métalliques qui maintenaient la pilule au-dessus du sol.

Eux, les bonshommes, ils n’avaient pas l’air méchant. Ils ne m’avaient pas vu. Leurs tètes étaient vertes comme celles des mantes religieuses, j’observais ça de loin, et leurs corps plutôt petits et très maigres. Je me suis levé pour examiner ça de plus près. Et quand ils m’ont aperçu, ils ont eu un mouvement de recul. Ils montraient de la surprise, plus qu’autre chose. Je n’avais pas peur. Bonjour, je leur ai fait, en levant la main pour montrer ma paume en signe de paix. Ça faisait un peu comme les Indiens d’Amérique. Ils m’ont observé et se sont communiqué entre eux en faisant des sortes de bourdonnements comme les crachotements de la radio entre deux chaines. Je ne comprenais pas. Mais ils m’ont fait signe avec leurs mandibules de m’approcher et de monter les marches de la soucoupe. Comme je n’avais rien à perdre, j’ai obtempéré. Ça brillait, cet engin, comme la lune brille la nuit quand elle est proche de la terre. J’ai donc eu ce privilège de passer la porte et je me suis retrouvé dans une salle des machines, une pièce immense, pleine de manettes. Je me suis dit que ça ressemblait drôlement à ce que j’avais vu au cinéma. Donc ils ne s’étaient pas trompés, dans les films. Peut-être que je n’étais pas le premier à en faire l’expérience. Et puis il parait qu’on a décollé, mais je ne me suis pas rendu compte, je n’ai senti que des vibrations et une sorte de vertige, mais on allait à toute vitesse dans l’immensité de la voie lactée. Enfin ça devait être la voie lactée, je voyais des étoiles, des étoiles !

Et puis je me suis retrouvé étendu dans une sorte de chaise longue en bois. C’était dans une autre pièce que celle où j’étais entré, avec la chaise. En m’asseyant, j’ai vu dans la pénombre le rideau étoilé qui devait être le rideau de sortie que j’avais vu en entrant. J’avais un peu mal à la tête. Je me suis dit que j’avais fait un aller-retour un peu rapide, mais vu le prix que j’avais payé, je ne pouvais pas me plaindre.  Je n’ai pas très bien saisi comment le Charlot s’y était pris pour ce voyage mais je n’avais pas envie d’entrer dans les détails. C’était comme les tours de magie, c’est mieux quand ça garde son mystère.


Ceci concocté pour l’Agenda Ironique, hébergé par l’ornithorynque qui nous proposait un voyage vers Mars.

Quant à moi, mes projets de blog sont beaucoup plus terre à terre. Je travaille dans l’ombre à présent, mais je travaille. Un jour ou l’autre, ce sera prêt.

BAGATELLE

DOmiciliée, heureuse à Azay-le-Rideau
REveillée tôt matin et au piano voici,
MIrabelle travaillant ses gammes pour le gala
FAmilière des spectacles, scènes, coulisses et sous-sols,
SOlos et concerti, audience sur des sofas.

LA sonate de Chopin, joyeuse épidémie
SIgnifie falbalas, échalas et soirées !
DOrures, applaudissements, bouquets et puis dodo.

                        Encore !!!! ..    Champagne et puis dodo.

                        Encore !!!,,,     Doliprane puis dodo.


Voici ma petite composition pour l’Agenda Ironique de Juillet, ici DO RÉ MI FA SOL LA SI DO. L’agenda ironique de juillet 2022.
Il fallait un texte en sept parties, dont chacune devait commencer par une note de musique. J’ai fait fort, non? (si vous voyez l’astuce)  
Merci tout l’Opera !

Annette et la tasse de café

Pour l’Agenda Ironique de Juillet – qui se tient… chez moi ce mois-ci! (voir l’avant-dernier billet). J’ai emprunté et mélangé, comme tout artiste digne de ce nom. Et si vous reconnaissez les références, je vous félicite personnellement.

Le café est un peu fort ce matin, ahh, le café du café du coin, ils ont mis du reggae à la radio, toum toum, toum toum, elle balance la tête en rythme, comme une pile électrique, comme une vraie mécanique, il n’y a pas mieux que ce café goudron dans la tasse, sans lait, sans sucre, sans filtre, c’est comme ça le matin une page nouvelle, cric crac les engrenages qui se décoincent après la nuit, elle s’est réveillée trop tôt ce matin, elle se tournait et se retournait comme du popcorn, trop chaud, trop froid, elle s’était contournée vers le réveil en se donnant un torticolis, il disait quatre heure et demi, et toutes ces pensées noires qui restaient suspendues dans un ciel d’orage avec cet air lugubre de Scarlatti, do mi la sol, fa mi re, la, sol fa qui déambulait à pas lent en bande sonore, mais slurp, voilà qu’elles étaient toutes parties maintenant ces pensées, slurp, elle prenait soin de faire slurp, comme les japonais qui faisaient slurp en aspirant leurs nouilles de riz, c’était un signe de politesse, et puis faire hhaaaaaaa après, mais pas trop fort, en regardant les gens du coin qui défilaient devant le comptoir, des familles avec des bébés, des hommes, des femmes, des enfants, des ribambelles en short, en robes, en sandales en flip flop, il n’y a rien de mieux que l’été et les robes, les robes en voiles de bateau, en toile de parachute, flap flap qui volent au vent, c’est aujourd’hui qu’elle allait la faire, la robe en lin blanc de ses rêves, elle y arriverait, après toutes ces années, toutes les conditions étaient réunies aujourd’hui, donc à la machine Singer Tchicatchicatchicatchic point droit, point zigzag, le long de la couture, autoroute à toute vitesse, manches longues, manches trois-quart, manches courtes, sans manches, la robe de lin blanc, col rond ou col en V ? slurp, on pourra faire les deux, la robe déclinée en bleu, en jaune moutarde, khaki, en puis en coton, en soie, en jersey ; légère et court vêtue, cotillon simple et souliers plats, Je frappe au numéro un…Je d’mande mamzelle Angèle, la concierge me répond, mais quel métier fait-elle elle fait des pantalons, des jupes et des jupons, et des gilets d’dentelle, elle fait des pantalons, des jupes et des jupons, et des gilets d’coton, hahaha, je ne connais pas, ce genre de métier, allez voir à côté… elle chantonne sur un tempo reggae la chanson en entier, passe au numéro deux avec un accent américain pour changer, et puis elle arrête là, mais la machine s’emballe, c’est bien assez d’être petite main, maintenant elle doit penser à sa carrière, à faire du fric, le fwic c’est chic, on dirait que je serais Dior, la nouvelle Coco Chanel, je suis un entrepreneur moi madame,  dit-elle avec conviction et sérieux en son fort intérieur, elle se voit saluer, penchant la tête, modestement mais non, ce n’est rien, c’est juste mon génie! les robes défilent dans sa tête, sur les catwalks de Paris, London, Tokyo, New York, Hourah ! clap clap clap clap clap clap clap clap seulement il faudrait qu’elle sache faire les finitions, parce que jusqu’à présent, il faut avouer, elle s’accommode avec les bords qui s’effilochent, dzouing, les fils qui dépassent et pendouillent, ça ne fait pas professionnel, ça madame, ça fait même un peu sloppy, tiens voilà qu’elle se parle en anglais maintenant, c’est la célébrité soudaine, pourtant il faudra bien qu’elle s’y mette  aux finitions, « des pieds spéciaux pour votre surjeteuse Pfaff ! Couture, découpe, finitions en une seule opération ne sont qu’un aperçu des avantages que vous offre une surjeteuse, » disent les annonces, mais que se passe-t ‘il, la tasse est vide depuis un moment, hélas, il semble qu’elle ait moins envie de se ruer sur la machine, parce qu’il faut bien le dire, l’effet de la caféine s’émousse, ça ne dure pas une éternité, heureusement qu’elle a repéré la porte des toilettes et qu’elle est encore entrouverte, crash, le café a fait son chemin, onze heures du matin et le cerveau crie famine, adieu Dior, Coco, Lanvin, une légère lassitude s’installe, il se pourrait qu’elle fasse une sieste tout à l’heure, ce projet de couture attendra, d’ailleurs elle a senti un plic ploc sur sa main en sortant, pas un temps pour une robe, on verra bien demain.