Students and faculty alike Would ask with knowing smiles Mentioning a legendary literature professor Do you remember So and So? Or Such and Such?
When I got to Kenyon College They were long gone, although I felt their presence In tweed jackets, smoking pipes Looking over my shoulder Sometimes wagging a disapproving finger Before floating away Along with their professorial knowledge
I know they gathered in Memorial Halls Sharing insubstantial cheddar-cubes and sherry Reciting to each other verses in rhymes and classic form, Writing studies and critical essays About other old-time poets.
Among them was John Crowe Ransom Who had been gone for three decades Though the shadow of his ghost Was still wandering Old Kenyon lecture halls With the varnished wood pulpits
He always popped up in conversations Appearing and disappearing But I was too young for him And took classes with professors Of flesh and blood, brick and mortar.
To this day I am still guilty Of never having read them The Old Kenyon College professors And I bow to them all Again and again in heaven.
LES PROFESSEURS QUE JE N’AI PAS RENCONTRÉS
Étudiants et professeurs me demandaient avec des sourires entendus A propos de tel ou tel légendaire professeur de littérature Vous souvenez-vous de lui?
Quand je suis arrivée à Kenyon College Ils étaient partis depuis belle lurette, bien que je sente encore leur présence Veste de tweed, fumant la pipe Regardant par-dessus mon épaule Parfois agitant un doigt désapprobateur Avant de flotter dans les airs Avec leurs connaissances professorales
Je sais qu’ils se réunissaient dans les Memorial Halls Partageant d’insubstantiels sherry et cubes de cheddar Se récitant entre eux des vers En rimes et forme classique, Ecrivant des études et essais critiques À propos d’autres poètes d’antan.
Parmi eux John Crowe Ransom Parti depuis trois décennies L’ombre de son fantôme Errant encore dans les amphithéâtres du Vieux Kenyon Aux chaires de bois vernis.
Il se matérialisait dans les conversations Apparaissait et disparaissait à sa guise Mais j’étais trop jeune pour lui Et prenais des cours avec des professeurs De chair et d’os, brique et mortier.
A ce jour je suis encore coupable De n’avoir jamais lu Les professeurs du vieux Kenyon College Et je m’incline devant eux Encore et encore, au paradis.
The first editors of the Kenyon Review, from left to right: Philip Blair Rice, John Crowe Ransom and Norman Johnson.
Est-ce que mon chat a une langue de chat ? Une langue de chat mérite-elle le nom de langue étrangère ? Si j’ai un cheveu sur le bout de la langue mais que je n’arrive pas à le saisir, est-ce que je zozote ou est-ce que je perds la mémoire ? Si je tire la langue, est-ce que la bobinette cherra ? Pourquoi les langues de feu ont-elles fait parler les apôtres en langues ? Les frigoristes morts pratiquent-ils les langues mortes ? Ma langue est-elle une langue vivante ? Peut-on simultanément tenir sa langue, la tourner sept fois dans sa bouche, et se boucher les narines ? Les langues de vipère sont-elles automatiquement bien pendues, et celles des chouettes ? Ne pas avoir sa langue dans sa poche n’évite-t-il pas de se salir les mains ? Dit-on ma langue a fourché ou ma fourche a langué ? Si le bœuf a avalé sa langue, que va vendre le boucher, va-t-il virer insomniaque ? Je donne ma langue au chat. Je crois cependant que la langue de Shakespeare était probablement sa langue maternelle.
The idea to gather after an event, a party in the room of a student you don’t know a scenery you have never seen and at a very late hour the later the better to line up behind a counter with your new friends as they get out small glasses and fill them with alcohol Tequila (they show you the worm) the idea being to swallow it down as quickly as possible then as many as possible without enjoying it and with no specific reason, is a fascinating concept and entirely new to me.
You see, there is no motive other than the fact that one should try anything once and you have not come all the way across the globe to stay in your room
You want to be surrounded with these fine students selected promising scholars thoroughly sorted and tested the top of the crop crème de la crème.
You feel warm, warmer and then somewhat confused and then so confused you don’t remember You were singing Ah tut tut pouet pouet la voilà La totomobile
Because you do not find out until later at least after you found yourself deep into the toilet bowl of your own dorm with someone holding your hair.
You will remember darkness outside the tone of dark wood panels interesting navy blue curtains in a cozy home on campus and the choice company.
You will remember the scientific curiosity of those avid young brains to find out what something that comes from a bottle Does to the average human being In the shortest length of time.
You will always remember the zeal they showed to observe another soul poison itself and deflate like a birthday balloon Right in front of your eyes.
SHOTS
L’idée de se rassembler après un événement, une fête dans la chambre d’un étudiant que tu ne connais pas un scène que tu n’as jamais vue et à une heure très tardive le plus tard possible le mieux, de s’aligner derrière un comptoir avec ces nouveaux amis,
qui sortent des petits verres et les remplissent d’alcool Tequila (ils te montrent le ver) l’idée étant d’avaler le contenu aussi vite que possible puis autant que possible sans en tirer aucun plaisir et sans raison particulière, est un concept fascinant et entièrement nouveau pour toi.
Tu n’as pas d’autre motif que l’idée qu’on doit essayer tout une fois et tu n’as pas fait tout ce chemin autour du monde pour rester dans ta chambre.
Tu veux être entourée de ces excellents élèves prometteurs et sélectionnés soigneusement triés et testés top de la promo crème de la crème.
Tu sens la chaleur, un peu plus puis tu te sens un peu confuse et puis si confuse que tu ne te souviens pas que tu chantais Ah tut tut pouet pouet la voilà La totomobile
Parce que tu l’apprendras plus tard après que tu t’es trouvée plongée dans la cuvette des WC de ton propre dortoir quelqu’un te tenant les cheveux.
Tu te souviendras juste de l’obscurité dehors Des panneaux de bois sombre De rideaux bleu-marine D’une maison sur le campus Et de la compagnie de choix.
Tu te souviendras De la curiosité scientifique de ces jeunes cerveaux avides de savoir ce que ce qui sort d’une bouteille Fait à l’être humain moyen Dans les plus brefs délais.
Tu te souviendras toujours du zèle qu’ils montraient A observer une autre âme s’empoisonner et se dégonfler comme un ballon d’anniversaire Devant leurs yeux.
Un autre souvenir de jeunesse pendant mon séjour dans l’Ohio. Je crois bien que c’était la première et la dernière fois que je buvais de la Tequila.
Assise à mon bureau dans le laboratoire de langues au cœur du campus, l’antre secrète où se déroule une alchimie importante à l’aide de pistes enregistrées qui rappellent les films de James Bond, celles qui s’autodétruiront dans la minute suivante. Un apprentissage sérieux est en cours. De nouvelles connexions neuronales sont en voie de construction.
Les non-locuteurs d’une langue seront transformés, grâce aux écouteurs qui contournent leur tête, en espions potentiels dans les pays étrangers. Les ambassadeurs éventuels auront le pouvoir de faire un putsch et de changer la face du monde.
Le matériel utilisé est légèrement daté, en harmonie avec les murs lambrissés, les parquets, les bureaux en bois. Les murs sentent encore le patriarcat des années cinquante dans ce collège réputé d’arts libéraux, au départ réserve aux hommes. Je me sens en sécurité.
Quelques heures par semaine, je porte le poids respectable du bon fonctionnement du laboratoire de langues. Je garde trace du matériel que les élèves ont emprunté, rendu, et les leçons respectives.
Puis je regarde cette armée de chercheurs ambitieux s’éloigner vers un bureau où un lecteur de cassette intégré les attend, connecté à des écouteurs personnels qui garderont leurs affaires confidentielles et sûres.
Je sais, pour avoir utilisé le mécanisme moi-même, la voix de robot enregistrée qu’ils entendent :
Bonjour, je m’appelle Jacqueline
Enchantée de faire votre connaissance
Je n’entends que les voix des étudiants qui répondent à un interlocuteur fantôme.
Ils apprennent le chinois dans le confort d’un minuscule cube. J’entends le cliquetis de l’avance rapide et du retour rapide, et les voix étouffées comme des perruches timides en sourdine faisant une conversation polie sur le temps, les jours de la semaine, les parties du corps.
Oui, je joue au foot les mardis. Oui, je voudrais une tasse de thé, s’il vous plaît.
Que voulez-vous pour le déjeuner? Quelqu’un répète encore et encore, comme s’il était soudainement frappé de la maladie d’Alzheimer.
Vieille blague : “Comment se rend-on à Carnegie Hall?” “travail, travail, travail”…
Et je pense à la noblesse de l’entreprise, se comprendre les uns les autres, tendre la main vers une fraternité humaine, même si cela commence par parler comme des tout-petits.
Mais ce que j’aime le mieux, c’est de ressentir le poids du passé, la chaleur du bois, la tranquillité du laboratoire, ses tâches bien définies, ses fiches de carton poussiéreuses, son utilité certaine dans un monde d’incertitude.
Voulez-vous reprendre du thé?
LANGUAGE LAB
Sitting at my desk in the language lab at the heart of depth of Campus, the secret lair where important alchemy takes place with the help of recorded tracks that remind one of James Bond movies, those that will self-destruct within the next minute. Important learning is taking place. New neural pathways are being built.
Non-speakers of a language will be transformed, through the headphones that semi-circle their heads, into potential spies in foreign countries. Future ambassadors with the power to make a putsch and change the face of the world.
The material used is slightly dated, in keeping with the wood-paneled walls, wood floors, wood desks. The walls still smell of the fifties’s patriarchy in this reputable liberal arts college, originally exclusively for men. I feel safe.
A few hours a week I carry the respectable weight of the smooth operation of the language lab. I keep track of the material students logged-in, logged-out, what lessons.
And then I watch this army of ambitious seekers walk away to a desk where a built-in tape-player awaits them, connected to personal headphones that will keep their business confidential and safe.
I know for having practiced there myself, the robot-voice they hear:
Bonjour, je m’appelle Jacqueline Enchantée de faire votre connaissance
I only hear the students’ voices answering a disembodied party.
They learn Chinese from the comfort of a tiny cubby. I hear the clickety click of fast-forward and rewind, and their tentative, muffled voices like shy muted parakeets doing polite conversation about the weather, the days of the week, body parts.
Yes, I play soccer on Tuesdays. Yes I would like a cup of tea, please.
Que voulez-vous pour le déjeuner? someone repeats again and again, as if suddenly stricken with Alzheimer’s. That’s right. Practice, practice, practice.
And I think of the nobleness of the enterprise, understanding each other, reaching out to one another towards a brotherhood of human people, although it starts by speaking like toddlers.
But the best is to feel the weight of the past, the warmth of the wood, the quiet peace of the lab, its clear-cut duties, its dusty cardboard cards, its certain usefulness in a world of uncertainty.
Encrusted with rubies and emeralds A beautifully bejeweled animal Crawls on the cover of the book that fell on the linoleum of my dorm room.
A giant turtle so heavily laden that it dies under the weight of its adornments Sacrificed to the decadence of humans With too much wealth, imagination And opium-induced aesthetic visions.
Aberrations! I discover, innocent from afar In my 19th century French literature class: Huysmans, with Professor Guiney The past vile vices of my fellow Frenchmen.
When I lift my gaze from the page My eyes meet grey walls through grey air The bedcover bought at Sam’s club
Together with the cheap radio clock – I travel slowly back from France A Rebours through time and space.
A REBOURS
Incrusté de rubis et d’émeraudes Un animal magnifiquement orné de bijoux Avance à pas lents sur la couverture du livre Tombé sur le linoléum de ma chambre de dortoir.
Une tortue géante si lourdement chargée Qu’elle meurt sous le poids de ses ornements Sacrifiée à la décadence des humains Trop pourvus de richesse, d’imagination Et d’esthétiques visions induites par l’opium.
Aberrations ! Je découvre, innocente et de loin Dans mon cours de littérature française du XIXe siècle : « Huysmans, avec le professeur Guiney, » Les ignobles vices passés de mes compatriotes français.
Quand je lève les yeux de la page Mon regard rencontre à travers l’air gris Le couvre-lit acheté chez Costco
Et le radio-réveil bon marché. Je reviens à pas lents de France A Rebours à travers le temps et l’espace.
Dans la série de mes souvenirs de jeunesse, la découverte de Huysmans dont je n’avais jamais entendu parler, probablement parce que mes études étaient concentrées sur la littérature anglophone.
Illustration: Auguste Leroux: Excerpt from lithograph from the 1920 edition of J.K. Huysmans’s À rebours
Sous la lumière rouge Dans le labo photo Un bac de liquide chimique Où trempe une feuille de papier blanc
Des formes se dévoilent Apparaissent les contours flous Puis les contrastes noir et blanc Et pour la postérité vient au monde :
Venus sur chemin de fer
Petite nymphe de passage T.A. aux heures officielles Nerveuse parmi les feuilles mortes De chêne d’Amérique
Cette photo est de moi debout Nue, cheveux châtains mi-court Hanches carrées, jambes solides Le long de la ligne de chemin de fer
Ma belle jeunesse sur pellicule Victime d’un rite local bénin Bien avant l’heure du digital Organique plutôt qu’érotique
Elle est cachée dans un tiroir Dorénavant ma peau blanche d’antan je l’ai vite rhabillée, cette jolie fleur.
Un autre souvenir, caché dans un tiroir. Je me demande encore comment je me suis laissé persuader de poser pour une photo nue sur le Trestle, ligne de chemin de fer abandonnée dans les bois du collège par mon boyfriend– sorte de rite des étudiants avec leurs girlfriends, comme un pari. De nos jours, depuis le digital, voir son image ne donne plus même frisson.La photo du photographe (ci-dessus) est de moi.
Et la traduction fait-maison:
VENUS ON THE TRESTLE
Under red light bulbs In the photo lab A tank of developing fluid Where a sheet of white paper lies
Shapes are revealed Blurred outlines appear Then black and white contrasts And for posterity comes into the world:
Venus on the Trestle
Little nymph passing by T.A. at official hours Nervous among the fallen leaves Of American oak
This picture is of me standing Nude, shoulder-length brown hair Square hips, strong legs On the railway line
My beautiful youth on Kodak film Victim of a benign local rite Long before the digital age Organic rather than erotic
She’s now hidden in a drawer This white-skinned girl of yore I quickly dressed her back again, That pretty flower.
In my teeny tiny dorm room I bring pen to research paper Desk underneath the cabinet Particleboard doors aligned Workplan lit up by buzzing neon light I sing the Song of Myself I sing the Body Electric
Across my desk and the bed The window is screened The view fogged up Obliterating leaves of grass outside Below, the A/C unit All green body, metal flaps And uncomplicated buttons Sings with me, noisy and ineffective
On my wall stretches out a map Where, In the glow of neon light I roam the roads of America Covering ground with Walt Whitman Though I occasionally get up For a can of orange Minute Maid At the vending machine outside the door To quench my thirst while I write my thesis My self-imposed American quest for Liberation For the spirit!!
Dans ma minuscule chambre de dortoir Je mets le stylo au papier Bureau sous les placards Portes en contreplaqué alignées Plan de travail éclairé par néon bourdonnant Je chante la Chanson de moi-même Je chante le corps électrique
En face du bureau et du lit La fenêtre est grillagée La vue embuée Oblitérant dehors, les feuilles d’herbe Au-dessous, le climatiseur Corps vert, panneaux métalliques Boutons simples d’usage Chante avec moi, bruyant et inefficace
Sur le mur s’étend une carte Où, à la lueur des néons Je parcours les routes d’Amérique Je franchis de longues distances avec Walt Whitman Bien que je me lève de temps en temps Pour une canette d’orange Minute Maid Au distributeur automatique devant la porte Pour étancher ma soif pendant que j’écris ma thèse Ma quête personnelle de l’Amérique Pour la libération Pour l’esprit !!
Retour à mes souvenirs de jeunesse. Je lisais Leaves of Grass (entre autres) pour mon mémoire de maitrise. Comme je suis l’autrice et la traductrice, je suis la seule responsable de mes adaptations. Comme bonus, je vous mets une traduction d’une partie du poème de Walt Whitman, ici :
1
Je me célèbre moi-même, me chante moi-même, Toi tu assumeras tout ce que j’assumerai, Car les atomes qui sont les miens ne t’appartiennent pas moins.
Je flâne, j’invite mon âme à la flânerie, Flânant, m’incline sur une tige d’herbe d’été que j’observe à loisir.
Ma langue, l’ensemble des atomes de mon sang, façonnés par le sol d’ici même, l’air d’ici même, Ma naissance, ici même, de parents eux-même nés ici, comme les parents de leurs parents avant eux, Trente-sept ans ce jour, santé parfaite , je commence, Comptant bien ne plus m’interrompre avant la mort.
Congédiés les credo, congédiées les écoles, Ayant pris mesure exacte d’eux sans mépris mais avec du recul, J’accueille, est-ce un bien est-ce un mal, je laisse s’exprimer sans fin La nature hasardeuse dans sa vierge énergie.
There was an invisible man in the library Who was introduced to me by my new boyfriend Late at night As he worked there His skinny chest bent over a desk Studious, dedicated Taking his responsibilities As library desk officer seriously Even when there was no-one there anymore All the students having moved on to other Evening and night tasks and activities.
I stayed there just because I did not want to miss a beat With the boy behind the counter Who was telling me About The Invisible Man By Ralph Ellison Who joined the group of Kenyon ghosts That hovers in my memory.
But that new boyfriend of mine, Chastised and chased me away Reminding me of my own duties My own ambitions that I admit, I was neglecting And thanks to him, perhaps and more than a little hurt I reluctantly crossed the darkened campus To my dorm room And tackled my research and thesis While he and the invisible man Kept busy over there.
Il y avait un homme invisible dans la bibliothèque Qui m’a été présenté par mon nouvel ami Tard un soir Alors qu’il travaillait Son maigre torse penché sur le comptoir Studieux, dévoué, Tenant ses responsabilités De responsable de la bibliothèque au sérieux Même quand Il n’y avait plus personne Tous les étudiants étant partis Vers d’autres tâches et activités nocturnes.
Je restais là pour la bonne raison que Je ne voulais pas manquer une minute Avec le garçon derrière le comptoir Qui me parlait, entre autres De l’Homme invisible Par Ralph Ellison Qui joignit ainsi le groupe des fantômes de Kenyon Qui plane encore dans ma mémoire.
Mais ce nouveau petit ami M’avait grondée et chassée des lieux Me rappelant à mes propres devoirs Mes propres ambitions que Je l’avoue, je négligeais Et grâce à lui, peut-être Blessée, et à contrecœur Je traversai le campus assombri Jusqu’à mon dortoir Pour aborder mes recherches et ma thèse Alors que l’Homme invisible et lui S’affrontaient encore là-bas.
Chers ami(e)s, je suis émue. Je poursuis mon mémoire en condensé poétique, et j’ai l’impression d’avoir fait un grand pas vers le futur en arrivant à mettre côte à-côte mes petites affaires linguistiques. Alors voilà.
Pour l’Agenda Ironique de Mai, une continuation de La vraie journée des femmes, pondu en Mars dernier. Certains m’avaient demandé une suite, alors la voici ! Français d’abord, et Anglais après. Les contraintes étaient : un bruit étrange et beau, cyclo-pousse. Île et poirier.
Fernande
Dans le bus pour Boston Fernande portait son sac-à-dos sur les genoux.
Barbara l’avait déposée à la station de bus comme tous les jours depuis deux semaines. Passe une bonne journée! Fais attention, évite le Marathon il va y avoir foule ! Elles s’étaient fait la bise.
Comme elle est naïve, Barbara, se disait Fernande. Gentille, serviable. Et comme elle est nunuche.
Fernande portait le t-shirt « Nous sommes le courage l’une de l’autre. » Celui que lui avait donné Z.
Le marathon, justement, c’est là qu’elle se rendait. Tous les ans, c’est une foule internationale qui se rencontrait le long des grandes artères de la ville le troisième Lundi d’avril pour courir, ou regarder courir les marathoniens sur 42,195 km. Ce n’est pas qu’elle compte courir, ni marcher sur les mains, Fernande, ni faire du cyclo-pousse.
« Si ce n’est pas moi, qui le fera ? Et si ce n’est pas maintenant, quand ? » Se répètait-elle silencieusement.
Quand Barbara lui racontait ses histoires de bureau le soir, par exemple sur son boss et son café, ou le type qui lui faisait des suggestions pas nettes, elle se retenait fort pour ne pas tout lui balancer, quitte à tout faire rater. Assez récemment, Barbara était rentrée du travail hors d’elle. Le type de l’informatique passe devant mon bureau et me lance « Smile ! puis il reste là à me regarder. Mais de quoi je me mêle ? Pourquoi je lui sourirais, à ce crétin ? Parce que les femmes sont des potiches ? On ne se connait pas, que je sache. Et j’ai même des gros doutes sur ses compétences ! Ça fait des semaines que j’attends un programme qu’il doit me donner. En plus, Barbara avait entendu que le salaire de l’employé était bien trop élevé pour son poste. Et pour que Barbara se mette en colère, il fallait vraiment la pousser. Elle racontait qu’elle était restée bouche-bée un moment puis avait répondu « Et bien, raconte-moi une histoire drôle ! « La réponse n’avait pas plu au responsable informatique, et Barbara s’inquiétait un peu pour son poste, à cause des représailles. Peut-être que son patron en aurait vent. Mais Fernande l’avait félicitée. Elle s’était retenue d’exploser « Ma sœur, tu es une super-vulve toi aussi ! Tu ne te rends pas compte comme tu es victime du patriarcat ? Tu ne vois pas comme ils n’ont aucun respect pour nous, comme ils nous prennent pour des courges ?»
Super-vulve, c’est comme ça qu’elles s’appelaient entre elles sur la plateforme Megalia. Megalia, C’était là que Fernande avait rencontré Z. Plus tard, elles étaient passées à Womad, un espace féministe lesbien radical.
Mais ici, il lui fallait en tout temps garder un sang-froid total. Ne laisser aucun doute, tenir Barbara en dehors de tout, pour la protéger, elle et la petite. Tout s’était bien passé depuis le début. Barbara lui avait donné une clé de la porte de la chambre et n’avait sûrement pas le double. Sinon elle aurait compris tout de suite.
La bombe, elle l’avait confectionnée à partir de poudre noire artisanale et de petits objets servant à déchiqueter (billes d’acier, clous, fragments métalliques.). Elle les avait rassemblés petit à petit dans des quincailleries ici et là. Chez Macy’s elle avait acheté une cocotte-minute d’environ six litres. Elle avait ajouté un minuteur de cuisine. Elle avait ramené tout ça dans son sac à dos sans que Barbara ou Tiffany ne se doute de rien. Elle avait pris connaissance du terrain, tracé son itinéraire du jour J.
Depuis le début, elle avait laissé de faux-indices en rentrant le soir. Des tickets du MFA, des reçus de sandwiches et de clam chowder à Faneuil Hall qu’elle laissait trainer sur la table, les meubles. Elle racontait comme elle avait fait le Duck Tours, comme elle s’est bien amusée. Hahaha. Et les cours d’anglais ? A oui, les cours d’anglais, du tonnerre. Heureusement que Barbara n’avait pas essayé de tester ses progrès. Elle se serait demandé ce à quoi elle passait ses journées.
Le soir, elle fermait sa chambre a clé, allumait son portable et se connectait avec Z. Toute seule, elle ne l’aurait pas fait, Même pas pour faire payer toutes les fois où elle avait entendu la sale chanson de Brassens dans son dos. Ensemble, avec Z sur Zoom, et un tuto sur YouTube elles avaient fabriqué l’engin.
Pendant qu’elles travaillaient, Z lui réexpliquait comme le but était de déstabiliser le patriarcat et que l’idéal était de vivre à distance des hommes, de s’organiser dans la non-mixité. Z, féministe radicale coréenne originaire de Seoul vivait et étudiait actuellement à Boston. La ville américaine avait été déterminée par le groupe que menait Z comme le meilleur endroit pour se faire entendre à l’échelle mondiale. L’Ile-de-France où vivait Fernande était déjà trop souvent ciblée. Fernande avait rencontré Z par internet quelques années auparavant. Un jour de colère envers des étudiants qui l’avaient ostracisée et un prof homme qui n’avait pas pris son travail au sérieux, elle était entrée sur un forum ou sa colère avait été validée et des oreilles sympathisantes l’avaient écoutée. Le temps était passé, mais pas la colère. De Forum en Forum, elle s’était radicalisée, jusqu’à ce qu’elle se lie avec Z. A cause de ses compétences en informatique et de son implication évidente dans la cause, Fernande avait été désignée comme agent d’action. Elle s’était d’ailleurs portée volontaire. Dans sa famille, personne ne connaissait son engagement et le prétexte du stage de langues était passé comme sur des roulettes.
Il est temps que les féministes fassent parler d’elles, lui répétait Z. L’action radicale des femmes est possible et urgente. Dans ses conversations avec Z, Fernande avait observé la capacité des femmes à s’organiser collectivement, l’importance cruciale qu’elles apportaient à la politique, et leur façon et leur devoir de porter leur lutte politique dans la rue. « Il n’y a pas de poire sans poirier » disait encore Z.
Dans le bus qui la conduisait à Boston, elle sentait le poids de la cocotte-minute sur ses genoux. Quand ils disaient que la place des femmes était à la cuisine… Elle avait préparé un sacré ragoût. Un vrai pot-au-feu. Dehors défilaient les commerces poussiéreux qui bordaient Route 1 et qu’elle voyait tous les matins, et le grillage de l’autre coté qui séparait la route. Devant-elle, une femme somnolait, écouteurs aux oreilles. Dans le siège d’à côté, deux jeunes hommes papotaient :
Eh, tu la connais, celle-là : » Comment est-ce qu’on garde une blonde sous la douche toute la journée? On lui donne un shampooing qui dit « laver, rincer, répéter ».
Hahaha ! Très bon. Et celle-là tu la connais :
Pourquoi la blonde a-t-elle été renvoyée de l’usine M&M? Elle jetait tous les «W».
C’était mignon, pensait-elle, pas bien méchant. Mais c’était le début du cancer qui continuait de ronger la population masculine, et même féminine. C’était tout un état d’esprit qu’il fallait changer.
On arrivait dans la ville. Le prochain arrêt la gare des bus de South Station, en plein dans le centre-ville. De là, elle allait prendre le subway pour Boylston Street. Elle connaissait son chemin par coeur.
Dans quelques heures, elle rencontrerait Z pour la première fois. La bombe, elles comptaient la poser à même le sol, près des grilles métalliques séparant la foule des coureurs. Puis elles reprendraient leur chemin respectif, ni vu-ni connu, Z dans la chambre d’étudiante, Fernande chez Barbara. Et puis quelques jours plus tard, la France.
« Sois ambitieuse ! » se répètait-elle. Si tout marchait comme prévu, dans moins d’une heure, on entendrait un bruit étrange et beau.
Fernande
On the bus to Boston Fernande was holding her backpack on her knees. Barbara had dropped her off at the bus station as she had every day for the past two weeks.
Have a nice day! Be careful, avoid the Marathon there will be crowds! They gave each other a peck on the cheek.
How naive she is, Barbara, though Fernande. Kind, helpful.And so simple.
Fernande was wearing the “We are each other’s courage” t-shirt. The one Z. had given him.
The marathon, in fact, was where she was going. Each year an international crowd gathered along the city’s main arteries on the third Monday in April to run, or watch the marathoners run over 42.195 km. She had no plans to run, Fernande, walk on her hands, or ride a pedicab.
“If not me, who will? And if not now, when? She repeated silently to herself.
When Barbara told her her office stories in the evening – for example about her boss and his coffee, or the guy who gave her dirty suggestions, she had to restrain herself not to spill the beans, which would mess everything up.
Fairly recently Barbara came home from work in a fury.
The IT guy walks past my desk and says “Smile!” then he keeps staring at me. Are you kidding me? Why would I smile at him? Because women are here for decoration purposes? We don’t know each other, as far as I am concerned. And I even have big doubts about his skills! I’ve been waiting weeks for a program he has yet to give me.
Besides, Barbara had heard that the employee’s salary was way too high for his position. And for Barbara to get angry, you had to really push her. She said she was speechless for a while and then said, “Tell me a funny story!” “The IT manager was not happy with the response, and Barbara was a little worried for her position, because of retaliation. Maybe the boss would find out. But Fernande congratulated her. She had refrained hard from exclaiming, “Sister, you are a super-vulva too! Don’t you realize that you are a victim of patriarchy? Can’t you see how they have no respect for us, how they think we’re stupid ? “
Super-vulva, that’s what they called each other on the Megalia platform. Megalia was where Fernande met Z. Later they switched to Womad, a radical lesbian feminist space.
But here, she had to keep her composure at all times. Leave no doubt, keep Barbara out of it all, to protect her and the little one. Everything had gone well from the start. Barbara had given her a key to the bedroom door and surely did not have the double.
She had made the bomb from homemade black powder and small objects good for shredding (steel balls, nails, metal fragments.). Little by little she had collected them in hardware stores here and there. At Macy’s she had bought a pressure cooker of about six liters. She had bought a kitchen timer. She had brought all this back in her backpack without Barbara or Tiffany suspecting a thing. She had reconnoitered the terrain, traced her D-day itinerary.
From the beginning, she had left false clues when she came home at night. She had left MFA tickets, receipts for sandwiches and clam chowder at Faneuil Hall lying on the table, the furniture. She told stories of how she had gone on the Duck Tours, how much fun she had had. Hahaha. What about English lessons? Yep, the English lessons, amazing. Luckily Barbara hadn’t tried to test her progress. She would have wondered what she was spending her days on.
In the evening, she locked her room, turned on her cell phone and connected with Z.
On her own, she would not have done it. Not even to make them pay for all the times she had heard Brassens’ dirty song behind her back. Together, with Z. on Zoom, and a tutorial on YouTube they had made the device.
While they worked, Z explained to her how the goal was to destabilize patriarchy and that the ideal was to live at a distance from men, to organize a single-sex community. Z. was a Korean radical feminist from Seoul who currently lived and studied in Boston, which had been determined by the group Z. led as the best place to be heard on a global scale. The Ile-de-France where Fernande lived was already too often targeted.
Fernande had met Z. on the internet a few years earlier. One day of intense anger with students who had ostracized her and a male teacher who did not take her job seriously, she had signed in a forum where her anger had been validated and sympathetic ears had listened to her.
Time had passed, but not the anger. From Forum to Forum, she had become radicalized, until she bonded with Z. Because of her computer skills and her obvious implication in the cause, Fernande had been appointed as agent of action. In truth, she had volunteered. In her family, nobody knew of her commitment and the pretext of the language course had raised no question.
It is time for feminists to be heard, Z told her. Radical action by women is possible and urgent. In her conversations with Z, Fernande had observed the ability of women to organize collectively, the crucial importance they placed in politics, and their way and duty to take their political struggle to the streets. “There is no pear without a pear tree,” said Z.
On the bus that took her to Boston, she felt the weight of the pressure cooker on her lap. They said the place of a women was in the kitchen… She had made a hell of a stew. Outside she watched the dusty shops that lined Route 1 pass by, the same she saw every morning, and the fence on the other side that separated the road. In front of her, a woman dozed, earphones in her ears. In the next seat, two young men were chatting:
Hey, you know that one, “How do you keep a blonde in the shower all day? Give her a shampoo that says “wash, rinse, repeat”.
Hahaha! Very good. How about this one:
Why was the blonde fired from the M&M factory? She was throwing away all the “W’s”.
They thought it was hilarious. It was cute, she thought, not too bad. But it was the onset of a cancer that continued to plague the male population, and even women. It was a whole state of mind that needed to be changed.
They were arriving in the city. Next stop would be South Station, right in the city center. From there she would take the subway to Boylston Street. She knew her way by heart.
In a few hours, she would meet Z. for the first time. They intended to place the bomb right on the ground, near the metal grids separating the crowd from the runners. Then they would resume their respective paths, incognito, Z to her student room, Fernande to Barbara’s. And then a few days later, France.
“Be ambitious! She repeated to herself. If everything went as planned, in less than an hour there would be a strange and beautiful noise.
Comment papa et toi vous êtes-vous rencontrés? Toujours la meilleure question à poser
Je portais une veste en daim C’était au début de l’automne Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans la chambre de Craig Il s’est levé pour me saluer et s’est présenté Et ensuite…
Nous sommes allés dans un café Où des étudiants jouaient de la musique Il a chanté ses chansons sur scène Avec Bruce et Mark et Nathalie Je ne faisais qu’écouter Juste débarquée de France
C’était la nuit dehors après On a traversé le campus Guitare à l’épaule Bottes marron Boucles blondes Blue Jeans
Ton père, je dirais Avait les dents de la chance Les jeans, j’apprendrais, étaient des LEVIS qu’il achetait dans des friperies Sa chambre était spacieuse Avec un vélo dans un coin Et un cadre de lit en métal contre le mur Il allumait des bougies Et de l’encens à la fraise Il portait une chemise couleur fraise Qu’Il avait trouvé dans une friperie Et un petit anneau à l’oreille La fenêtre donnait sur une belle pelouse Dans sa chambre à Watson Hall La lumière était différente Il jouait du Van Morrison Il jouait du Clannad Il jouait des ballades irlandaises A propos d’une île irlandaise et d’un Willy O’Winsbury
Et c’est comme ça que j’ai rencontré votre père.
COFFEE HOUSE
How did you and dad meet? Always the best question to ask
I was wearing a suede jacket It was early fall we first met in Craig’s room He got up to greet me and introduced himself And then…
We went to a Coffeehouse (There was no coffee involved) He sang his songs on stage with Bruce and Mark and Nathalie I just listened Still fresh from France
It was night outside after crossing the campus his guitar Brown boots Blond curls Blue jeans
Your father, I would say Had good luck teeth The jeans, I would learn, were LEVIS’ he bought in thrift stores His room was spacious With a bike in a corner and an upright metal bed frame against the wall He would light up a candle and strawberry-scented incense he wore a strawberry-colored shirt He had found in a thrift store and a small ring in his ear The window looked onto a lawn In his room in Watson Hall the light was different He played Van Morrison He played Clannad He played Irish ballads about some Western Island and a Willy O’Winsbury
And that is how I met your father.
Dans la série de mes souvenirs universitaires, une rencontre importante. J’ai écrit ces poèmes en anglais au départ puis les ai traduits en Français, ce qui donne ce style un peu artificiel parfois. Evoquer ces souvenirs en phrases courtes comme les images des souvenirs reviennent en flash me semblait naturel. Mais d’autres épisodes étaient plus adaptés à une narration en prose. Ca vient, ça vient … !